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faisaient alors la Russie et l’Angleterre prouvent évidemment que ces deux cabinets ne se croyaient point assurés de son alliance, et travaillaient à le séduire ou à le contraindre.

Je n’examine pas ici, je n’examine pas encore s’il eût été de l’intérêt mieux entendu de Bernadotte ou de son devoir de se décider tout de suite en faveur de la France; je constate seulement, à la fin de cette première période d’une crise mémorable, d’abord qu’il n’est pas vrai de dire que Bernadotte ait tout seul et le premier excité Alexandre à une lutte qui devait nous être si funeste, en second lieu qu’à l’heure où, prévoyant cette lutte et se trouvant dans toute l’anxiété de la mission difficile qui lui était échue, il cherchait quelle alliance offrirait à la Suède le plus d’avantages pour le présent et le plus de sécurité pour l’avenir, — Napoléon devait prendre en sérieux examen le prix de cette coopération, les sympathies de ce peuple, et les difficultés de tout genre qui lui enlevaient sa liberté d’action. Bernadotte disait jusqu’en octobre 1811 : « Nous ne pouvons rester comme nous sommes; chaque année ajoute 15 millions à notre dette depuis que nos douanes ne rendent plus rien; nous sommes forcés de désarmer. Que la France nous donne un subside, ou qu’elle nous permette d’être neutres, car il faut pourtant que nous vivions. Ayons un traité qui porte que nous serons aidés par la France dans la reprise de la Finlande ou dans l’acquisition de l’équivalent, et nous ferons ce que l’empereur ordonnera. En cas de réussite, nous rendrons les subsides reçus, mais nous voulons être alliés ou neutres... » Quand il parlait de la sorte, il fallait peser l’importance de ces paroles. Il était sans doute bien permis de penser que neutre voulait dire ennemi, que les douanes suédoises faisaient des profits clandestins; mais qu’importe, et pourquoi ne prenait-on pas Bernadotte au mot? La Suède avait raison, après tout, de demander des garanties sérieuses et des subsides réels; il fallait lui accorder un secours indispensable; il fallait ne pas mettre son dévouement et son amitié, dont nous avions grand besoin, à une si rude épreuve; il fallait ne pas dédaigner, ne pas compter pour rien sa nationalité, son indépendance, son lendemain.

Les rapports entre les deux cabinets étaient encore excellens, au moins en apparence, en juin 1811. Bernadotte paraissait même aux petits soins auprès du baron Alquier. On avait mis à la disposition de ce ministre pour toute la belle saison une maison de campagne appartenant à la cour, et les agens étrangers voyaient avec étonnement le prince royal aller sans façon lui demander à dîner. Ils ne doutaient pas alors d’une entente parfaitement cordiale. Ces bons