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aurait vu ses deux ailes assurées, — à droite par l’énergique diversion des Turcs, acharnés contre l’ennemi commun y — à gauche par le précieux secours de soixante mille Suédois ayant à venger bien des injures. Ajoutez qu’au bruit d’une rupture entre la Russie et la France, la Finlande, ne doutant pas que la Suède ne dût être avec nous, frémissait et ne demandait qu’un signal. Ajoutez enfin l’effervescence de la Pologne, et calculez combien de périls s’accumulaient contre la Russie, combien de chances de victoire pour la France. La coopération de la Suède était la principale condition d’un si grand succès; il fallait donc à tout prix attacher ce peuple à notre cause. Quelques négociations, vagues et peu suivies, eurent lieu en mars, avril et mai 1811; mais, Bernadotte s’obstinant à demander la Norvège, que Napoléon ne pouvait enlever au Danemark, son allié, et à dédaigner, au moins en apparence, l’offre de la Finlande, Napoléon de son côté refusant les garanties et les subsides effectifs que lui demandait avec raison Bernadotte, ces négociations n’apportèrent en définitive aucun résultat. Napoléon, nous le savons bien, avait des raisons de ne pas croire sincères les protestations de dévouement qui lui étaient faites. Les liaisons de la Suède avec l’Angleterre continuaient presque ouvertement, au mépris d’une déclaration de guerre tout illusoire. Gothenbourg continuait à être un entrepôt anglais par où les marchandises anglaises s’écoulaient vers les ports de la Baltique, et un lien de communication entre toutes les intrigues qui, de l’orient ou de l’occident, se tramaient contre la France. A Stockholm, dès le mois d’avril, Suchtelen déclarait tout haut à qui voulait l’entendre que la Russie allait enfin venger ses propres injures et celles de l’Europe, et que l’heure de la délivrance était arrivée. Dès cette époque aussi, M. Alquier signalait assez souvent parmi les hauts fonctionnaires du gouvernement suédois des consciences vendues, des sermens prêtés à la Russie. A Paris même enfin, la légation de Russie avait communication presque régulière des dépêches envoyées de Stockholm. Bernadotte trompait tout le monde, dira-t-on, et l’empereur ne pouvait se fier à lui. — Je réponds : Bernadotte n’avait encore ouvert de véritables négociations qu’avec la France : il s’offrait à l’empereur. On a vu que c’était l’avis général à Stockholm. Ce n’est pas M. Alquier tout seul qui le croyait; la correspondance du ministre de Prusse, que dis-je? des lettres particulières saisies à la poste nous ont offert ce témoignage. Dans ses rapports avec l’Angleterre et la Russie, Bernadotte n’avait encore pour but, au commencement et au milieu de 1811, que de se ménager la bienveillance de ces deux états, dont la Suède, par sa position géographique, est presque dépendante. Les offres et ensuite les menaces[1] que lui

  1. « On répète ici que l’Angleterre a pressé Gustave IV de s’emparer de la Sélande et lui a offert même de céder Copenhague à une garnison suédoise au moment où cette capitale serait évacuée par les Anglais. » Dépêche de M. Alquier, 7 février 1811.