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d’adhérer fidèlement au système français (29 mars)…, et je serais en mon particulier tenté de croire qu’il en sera toujours ainsi, bien qu’on ne puisse rien prévoir (16 avril). » Bien plus, une lettre particulière, écrite de Stockholm (28 mai), ouverte au bureau de poste de Hambourg, et qu’il nous est bien permis de regarder, prise ainsi au hasard, comme traduisant en quelque mesure l’opinion publique, s’exprime dans le même sens : « Les Anglais ne savent pas trop où ils en sont avec notre prince ; dans peu, ils en seront mieux instruits. On se prépare ici à des mesures que l’intrigue, la perfidie et les menées étrangères ont toujours paralysées… Il est important que le traité d’alliance avec la France, dont on parle, puisse bientôt avoir lieu. Cet épaulement donnera au prince une force morale qui tuera les plus méchans : mais les Russes travaillent ici avec une perfidie inouie. » Ainsi on croyait à Stockholm à l’inimitié constante de la Russie contre la Suède et à un prochain traité avec la France. M. d’Engestrom avait demandé seulement quelques jours pour présenter un rapport au roi, et il avait paru très sûr d’une heureuse issue : « Nous espérons que pour cette fois, avait-il dit, sa majesté impériale repoussera les Russes dans leurs anciennes limites, et qu’elle établira une barrière qu’ils ne pourront franchir. Nous désirons voir revenir le temps où nous pourrons, comme autrefois, être alliés avec la France, la Porte et la Pologne. » Citons un dernier fait, rapporté dans la lettre particulière que nous invoquions tout à l’heure, et qui contraste bien singulièrement avec la politique ultérieure de Bernadotte : les Turcs, en guerre avec la Russie, comptaient sur une diversion de la Suède alliée à la France. Le reis-effendi en avait conféré secrètement à Constantinople avec un agent suédois qui partait pour Stockholm. Après s’être fait expliquer tout ce que la Suède avait perdu dans les dernières années : « Si vous avez à votre disposition soixante mille soldats, avait-il dit, nous pourrions nous rencontrer en Russie. Nous ne signerons pas la paix, et si Napoléon veut faire attaquer en Pologne, nous écraserons notre ennemi… Puisque vous avez pour prince un parent de Bonaparte, vous devez triompher de votre côté. Annoncez-lui que nous serions bien aises de nous lier, et qu’il nous fasse savoir ce qu’il veut faire. » Quinze jours après, on lit dans la correspondance officielle de M. Alquier ces mots qui confirment le précédent témoignage : « Le prince royal a fait répondre au reis-effendi que la Suède aurait bientôt soixante mille hommes, douze vaisseaux de ligne armés, deux cents bâtimens légers, et qu’elle accueillait les ouvertures de la porte[1]. »

Ainsi Napoléon, pendant la formidable campagne de Russie,

  1. Dépêche du 13 juin.