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années. A peine sortie du tumulte sanglant de la révolution, la France avait abusé de ses forces renaissantes et les avait tournées vers la conquête; jalouse de sa gloire renouvelée, elle avait voulu ruiner une rivale, et s’était livrée tout entière à une ardeur périlleuse: elle veut réparer aujourd’hui ces excès par des alliances plus sages et une politique plus efficacement protectrice des intérêts généraux de l’Europe. Que les autres états suivent son exemple; qu’ils laissent tout souvenir de réaction pour recouvrer une vue nette et ferme de ces grands intérêts de la société européenne. Toute œuvre humaine est incomplète; c’est aux fils de compléter celles de leurs pères, de féconder ce qu’elles contiennent de germes glorieux, de réparer ce qu’elles ont admis d’imparfait ou de mauvais. Cette dernière tâche n’est pas la moins respectueuse, elle n’est pas le moins bel hommage aux yeux de qui veut croire à une généreuse et sainte solidarité.


I.

Elu prince royal de Suède le 17 août, Bernadotte fit son entrée solennelle à Stockholm le 2 novembre 1810. La mauvaise santé de Charles XIII, le malheureux état de la Suède, la confiance qu’inspiraient les talens du prince élu, la perspective de son alliance probable avec la France, toutes ces causes réunies allaient mettre le pouvoir entre ses mains et lui déférer en même temps toute la responsabilité d’une décision devenue périlleuse au milieu de tant de difficultés, — en un mot le fardeau des destinées futures d’un peuple qui, du bord de l’abîme, l’avait appelé pour le sauver. Les acclamations qui accueillirent son arrivée exprimaient les mille espérances qu’on plaçait en lui. Chacune des classes de la nation voyait dans le nouveau-venu l’instrument de ses vœux. Les paysans, auxquels on avait tant vanté son origine et ses sentimens populaires, comptaient qu’il réprimerait l’orgueil d’une noblesse encore trop puissante à leur gré; les nobles au contraire, le sachant habile, pensaient qu’il ferait respecter leurs privilèges pour se fortifier par leur alliance; l’ordre des bourgeois regardait ce républicain comme le plus sûr appui des principes de la révolution de 1809; le commerce espérait obtenir par lui de l’empereur Napoléon une tolérance qui épargnerait les relations devenues si précieuses entre l’Angleterre et la Suède; l’armée enfin se préparait déjà à reconquérir la Finlande et à prendre la Norvège.

Bernadotte allait se trouver hors d’état de satisfaire à la fois à tous ces vœux, parce qu’ils étaient contradictoires. L’alliance qui devait en assurer l’accomplissement était soumise par Napoléon à des conditions que la Suède ne voulait pas accepter. L’empereur exigeait