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Il est trop certain que l’église protestante du XVIIIe siècle a permis souvent cette odieuse tyrannie des consistoires. Aussi bien il n’y a pas trace de déclamation dans le roman de M. Kurz : c’est une peinture nette et franche. L’étude des choses réelles y vient sans cesse en aide à une imagination bien douée. On voit que l’auteur a interrogé à la fois et l’histoire des petites villes d’Allemagne au XVIIIe siècle et les mœurs des paysans d’aujourd’hui. On a fait dans ces derniers temps maintes peintures de la vie populaire ; celles qu’a signées l’illustre nom de Jérémie Gotthelf sont les seules que je puisse préférer à ces vigoureuses pages. Il est évident que M. Kurz a écrit ce roman comme un sérieux artiste, qu’il a étudié son sujet avec amour, qu’il a fait poser longtemps ses rudes personnages avant de les dessiner sur sa toile. Il les connaît, il les sait, non pas d’une science factice et apprise de la veille : il les sait dans leur fond même, comme un observateur à qui rien n’a échappé, comme un confident qui a recueilli bien des secrets. Toutes ces figures sont vivantes ; je reconnaîtrais entre mille le vieux Schwan et sa femme, et ses gendres, et maintes physionomies du village, le meunier, le boulanger, le pêcheur, le vieil invalide, sans parler du pasteur et du bourguemestre. Frédéric surtout est peint avec une rare puissance. Le portrait certes n’est point flatté ; ce n’est pas une victime doucereuse qu’a voulu représenter M. Kurz, et cependant qui ne s’intéresserait à ce malheureux, quand on le voit lutter contre lui-même et faire tant d’inutiles efforts pour rentrer en grâce auprès du monde ?

Au milieu de ces scènes de fureur où le Sonnenwirth ne se possède plus, il y a des situations bien touchantes. M. Kurtz a pris surtout plaisir à mettre en lumière les bons instincts de cette nature emportée. Les plus heureuses pages de son livre, ce sont celles où il montre la simplicité et la droiture du cœur de son héros. Tantôt c’est un ardent sentiment d’équité aux prises avec les formalités et les ruses d’une justice arbitraire, tantôt c’est une piété naïve qui ne demanderait qu’à s’épanouir, et qui vient se heurter contre la dure sécheresse de la dévotion officielle. Alors même que le Sonnenwirth est chassé de son village, dans les commencemens de sa vie de vagabond, lorsqu’il a été mis sous les verrous, et qu’ayant réussi à s’évader, il n’a d’autre asile que les tanières des bêtes fauves, il a de pieuses émotions qui le transforment tout à coup. La douce religion naturelle (oui, elle est pour l’âme un refuge si doux, quand la légion des pharisiens remplit l’église et en défend l’accès !), la douce religion naturelle, que dédaignent les théologiens de métier, fleurit d’elle-même au fond de son âme, dès qu’il n’est plus en butte aux défiances des méchans. Je n’en citerai qu’un exemple : séparés depuis plusieurs mois, Frédéric et Christine se retrouvent un soir à