une marâtre cupide, haineuse, impérieuse, qui ameute toutes les passions contre lui. Frédéric a beau l’aire son travail comme valet d’auberge, soigner les chevaux, surveiller l’écurie : toute sa bonne volonté est inutile, la famille entière le traite en réprouvé. La famille? ce n’est pas assez dire. Il est violent, le pauvre Frédéric, mais il est généreux, et plus d’une fois ses violences ont éclaté pour défendre le faible contre le fort; les lâches qu’il a jugés avec sa justice sommaire ne se sont pas fait faute de le calomnier, et dès qu’il met le pied dans le village, le vieillard détourne les yeux avec mépris, la jeune fille tremble de frayeur, le jeune homme serre les poings et murmure des paroles de haine. On le craint, on le fuit comme un chien enragé; son nom, l’aubergiste du Soleil, le Sonnenwirth (on l’appelle ainsi, bien que ce titre appartienne à son père et qu’il soit condamné d’avance à ne jamais recueillir cet héritage), son nom maudit est un épouvantail.
Un seul être dans cette contrée ennemie tend à Frédéric une main confiante : c’est une jeune fille bien pauvre, bien misérable, qu’il a protégée, encore tout enfant, contre les mauvais traite mens d’un hypocrite. Il y a une grâce touchante dans les amours de Frédéric et de Christine. Au moins le voilà réconcilié avec la vie; que lui importent les injustices des hommes? Le Sonnenwirth est sauvé cette fois, puisqu’un cœur dévoué se donne à lui. Non, ce lui sera au contraire une source d’humiliations nouvelles et l’occasion des révoltes qui l’entraîneront au crime. Christine est devenue mère, et Frédéric veut réparer sa faute en l’épousant. Il a oublié que la malédiction publique le poursuit. A la seule idée de ce mariage avec une fille de condition inférieure, le père est furieux, la marâtre jette les hauts cris; les beaux-frères, espèces de gentlemen de village, prennent de grands airs scandalisés. Frédéric se soumet en pleurant de rage; mais pourra-t-il se soumettre longtemps lorsque celle qu’il considère connue sa femme légitime est citée devant le consistoire et admonestée publiquement ainsi qu’une fille perdue? Les plus odieuses inique! paraissent un procédé tout naturel quand il s’agit du Sonnenwirth. Il semble qu’on veuille l’emprisonner à jamais dans le souvenir de ses fautes passées. Le sacrement du mariage n’a pas été institué par l’église pour un bandit de cette espèce; le pasteur et le magistrat, l’accablent d’affronts, lui suscitent maints obstacles, et finalement lui refusent le droit d’être le père légitime de ses enfans. Il est traqué comme une bête fauve.
Ce noir tableau est-il chargé? Non. les documens sont là. Déjà, il y a une vingtaine d’années, le romancier populaire de la Suisse allemande, Jérémie Gotthelf, avait flétri dans son Miroir des Paysans des iniquités du même genre, et qui ne remontent pas si haut.