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de la tradition et une originalité savante, c’est aussi ce que je suis heureux de signaler dans un roman de mœurs populaires, l’Aubergiste du Soleil, dû à la plaine de M. Hermann Kurz. M. Hermann Kurz appartient comme M. Otto Müller à la génération nouvelle. Je ne crois pas qu’il ait rien écrit avant l’Aubergiste du Soleil, car il me paraît impossible qu’une œuvre écrite de cette main vigoureuse ait pu passer inaperçue. C’est la délicatesse et la grâce qui distinguent M. Otto Müller, c’est la profondeur et la force qui éclatent chez M. Kurz. M. Otto Müller nous a donné un suave et tragique tableau emprunté à l’histoire des arts au XVIIIe siècle; c’est aussi au XVIIIe siècle que M. Hermann Kurz a demandé les élémens de son drame, mais il nous conduit au milieu des paysans souabes, et il trace une peinture sombre et sinistre, qui est en même temps une excellente page d’histoire. Les lettres de Charlotte Ackermann avaient servi de guide à M. Müller; il y a de même un fondement réel au récit de M. Hermann Kurz. Par les contrastes autant que par les ressemblances ces deux œuvres se tiennent et se complètent. Après avoir assisté aux premiers triomphes de l’art dramatique allemand dans le siècle de Lessing et de Goethe, c’est une étude curieuse de pénétrer dans ces bas-fonds de la société où la dureté d’une église sans cœur et d’une administration homicide appelaient, comme un jugement de Dieu, le jugement, de la France de 89 !

Parmi les écrits en prose de Schiller, on rencontre une très curieuse narration, dont le titre, assez difficile à traduire littéralement, peut être paraphrasé ainsi : l’Homme poussé au crime par la perle de son honneur. C’est l’histoire d’un certain Christian Wolf, fils d’un petit aubergiste de campagne, qui, abandonné de bonne heure à lui-même, va braconner dans les bois, est jeté en prison avec des malfaiteurs, sort de là le désespoir dans l’âme, essaie de prendre un métier, et bientôt, se croyant voué pour toujours au mépris des hommes, finit par devenir un chef de bandits, l’épouvante et le fléau de la contrée. Ce n’est pas un récit d’imagination, c’est une histoire vraie, der Verbrecher aus verlorenen Elire, eine wahre Geschichte, et Schiller, en effet, cite plusieurs pages d’une espèce d’autobiographie écrite par le meurtrier lui-même, lorsque, pris et condamné, il se préparait à porter sa tête sur l’échafaud. Cette autobiographie n’est pas le seul document qui reste sur l’aubergiste du Soleil; il y a des actes judiciaires, des procès-verbaux, des lettres, sans parler de plusieurs notices écrites par des contemporains avec un naïf accent de vérité. Ces documens ont fourni à M. Kurz d’utiles indications, mais il a pensé qu’il avait le droit d’en faire un libre usage. Ce qui est vrai dans son récit, c’est le fond même, le tableau du temps, la peinture de cette justice impitoyable,