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par suite de la contribution imposée par la France à Yousef-Pacha.

Le commerce maritime se fait presque exclusivement par les deux ports de Tripoli et de Bengazi. Les autres points du littoral ne font guère que le cabotage intérieur. Néanmoins Zoara a quelques relations directes avec la régence de Tunis, et Derna avec l’Egypte et la Crète. En 1851, une dizaine de navires chargèrent à Mezurate des grains pour Malte. C’est avec ce dernier pays que la Tripolitaine a ses plus grandes relations commerciales, c’est là qu’elle expédie la majeure partie des céréales et à peu près tous les animaux vivans qu’elle exporte. Après Malte viennent, dans l’ordre de l’importance des relations de commerce, la Turquie d’Europe et d’Asie, la régence de Tunis, la Toscane, l’Egypte, la France et l’Algérie. En 1850, l’intercourse entre la Tripolitaine et la France a été de 308,000 fr.; elle était bien moindre avant 1789, mais alors la navigation appelée la caravane, qui était exclusivement entre les mains des Français, formait une source de grands profits pour notre marine marchande. On désignait ainsi l’intercourse entre les diverses parties de l’empire ottoman. L’espèce de monopole qui nous était reconnu à cet égard était une suite de cet antique privilège, que nous avions obtenu dès le règne de François Ier, de couvrir de notre pavillon le commerce des Harbi, c’est-à-dire des peuples chrétiens qui n’avaient pas encore de traité particulier avec la Porte. Il fut un temps, en effet, où aucun pavillon européen, à l’exception de ceux de France et de Raguse, ne pouvait flotter dans les mers de la Turquie. Sous Henri IV, on comptait habituellement plus de mille navires portant nos couleurs dans ces parages. La plupart des puissances chrétiennes ayant successivement traité avec la Turquie, cet état de choses fut profondément modifié; mais il nous restait encore, dans le dernier siècle, ce privilège de la caravane, que nos querelles avec la Porte à l’époque de l’expédition d’Egypte nous firent perdre. Les Grecs nous succédèrent dans ce grand cabotage du Levant, et ce fut en partie à cette circonstance qu’ils durent les richesses qui leur permirent de soutenir plus tard l’héroïque lutte de leur indépendance[1].

  1. A l’occasion de toute cette affaire des pavillons, on me permettra de parler du pavillon de Jérusalem, dont je ne me rappelle pas qu’aucun voyageur se soit occupé. Par une de ces bizarreries qu’on ne voit que dans le Levant, et qui tiennent à des causes qu’il serait trop long de développer, la Porte reconnaît le droit de conférer ce pavillon au supérieur des pères de Terre-Sainte, qui en délivre d<s patentes à des armateurs catholiques de n’importe quelle nation. Ces patentes sont admises par nous comme pièces de bord et donnent droit à la protection de nos agens, sous la police desquels naviguent les navires de Jérusalem, peu nombreux en ce moment, mais qui l’ont été beaucoup plus en temps de guerre maritime, à cause de la neutralité que, par une sorte d’accord tacite, les puissances chrétiennes et la Porte elle-même ont toujours respectée en eux. Le pavillon de Jérusalem est celui des croisés, blanc parsemé de croix rouges. C’est une vénérable relique d’un temps de toute manière bien loin de nous.