Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vrai ? s’écria la tante. Tu es toujours décidée à ne pas te marier ? Eh bien ! tu es une brave fille, une fille de cœur ! Je craignais que tu n’eusses changé d’idée, j’en rougissais pour toi. C’est bien de persister ainsi dans nos projets. Tu as raison, Muette, le mariage est une folie. Les hommes se valent tous. Tante Blandine s’est-elle mariée ? Elle n’en est pas plus malheureuse, elle a sa belle liberté, et personne au monde ne lui a jamais imposé ses caprices ; pour ma Sabine, ce sera de même. Ah ! je comprends tout maintenant : ce mariage te peine, mais ton père est un homme si violent que tu n’oses pas lui résister. Tu lui obéis, c’est bien, très bien, je n’aime pas les rébellions dans les familles ; mais tante Blandine est là, et si elle dit : veto, nous verrons bien ce que fera M. Jean-de-Dieu Cazalis ! Ses jurons ne m’épouvantent point ; il n’est pas ici sur sa frégate. Console-toi, ma fille, je te défendrai envers et contre tous, et l’on saura si j’ai une volonté. Les hommes font beaucoup de bruit et de poussière, mais on en vient toujours à les mener par le bout du nez. Ce mariage ne me plaît pas, donc il ne se fera pas. Le Lucien ne m’est jamais revenu, et je n’attendrai pas longtemps pour lui signifier son congé. Ton père dira ce qu’il voudra ; avec moi, plier ou casser ! Avant quinze jours, Jean-de-Dieu aura à choisir entre Lucien et Blandine, et les choses n’en resteront pas là. Il faudra bien que tout ceci finisse : ces drames, ces tragédies, ces comédies ! Cet Espérit, ce marquis des Saffras, quelle tête fêlée ! Et ton père avec ses cavalcades, ses répétitions, ses dîners, ses banquets ! Il inviterait le genre humain ! Je vais vous mettre cette maison à la réforme ; il n’est que temps… Je réponds de tout ; mais pas de voyage à Valence. Ce serait une lâcheté ; j’aurais l’air de craindre mon frère et de reculer devant lui. Eh quoi ! tu n’es pas aux anges de ce que je te dis ! douterais-tu de moi ? Tu restes là muette et toute en larmes. Que se passe-t-il ? Mais parle donc. Pourquoi ces désespoirs ? Ah ! j’y suis, j’y suis, reprit la tante aussitôt sans attendre la réponse, et de joie elle se frottait les mains, tout m’est expliqué maintenant, ces tristesses, ces pleurs, ces projets de départ… Ma Sabine, pourquoi ne l’as-tu pas dit plus tôt ? Tu aimes, pauvre enfant ; ton cœur est pris. Oh ! je le vois bien, j’ai tout deviné ; rien ne m’échappe. Tu aimes et tu comprends qu’un tel mariage est impossible, tu es une fille vaillante et tu sais ce que tu dois à ta famille, à ta tante, à ton nom ; tu es une Cazalis ! Allons, du courage, ma bonne Sabine ; il faut en prendre son parti. Allons, contez-moi ces amourettes ; venez ici, Ninette, et faites vos confidences à la petite tante Blandine, racontez-lui tout dans le plus grand détail. Je me doutais bien qu’il s’était fait un grand changement en vous ; vous êtes d’une gravité qui n’est pas votre âge ; vous cherchez la solitude. Ce matin encore je t’ai