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Damiane devait l’attendre jusqu’à midi pour la fournée. Il était retourné à Seyanne fou de joie, et la tante Laurence remarqua qu’il n’avait jamais travaillé d’un si grand courage. À la nuit, dès qu’il fut libre, il revint errer au hasard dans les chemins creux de la Pioline. Tout en battant le pays, il se trouva porté à son insu sous le balcon des Cazalis. Les chiens, qui le reconnurent, cessèrent d’aboyer et vinrent lui lécher les mains. Toute la façade du manoir était dans l’obscurité ; au tournant, vers l’aile gauche, une seule fenêtre était encore éclairée. La lampe de Sabine jetait des lueurs à travers les rainures des peupliers agités par le vent ; par momens, une forme vague passait et se détachait sur l’ombre claire des rideaux. Marcel s’était assis au pied des chênes verts qui bordent ce chemin ; il pensait à sa bien-aimée, et son âme s’envolait dans l’immensité des deux. Il restait là sous cette fenêtre, les yeux attirés par le rayonnement de cette pâle lumière, plus brillante pour lui que toutes les étoiles qui scintillaient au firmament.

Vers dix heures, les rideaux s’assombrirent, la lumière courut le long des corridors jusqu’à l’aile opposée. Marcel se leva en sursaut, frappé au cœur, sans pouvoir s’expliquer la cause de cette vague angoisse.

En ce moment, Mlle  Sabine entrait chez sa tante. La vieille demoiselle se mettait au lit avec des précautions infinies. À demi déshabillée, elle préparait avec grand soin sa toilette de nuit. Sabine l’embrassa et lui dit résolument : — Ne me faites pas de questions, ma tante ; mais il faut que demain nous partions pour Valence : voilà deux ans que nous avons promis cette visite à nos parens du Dauphiné. Partons dès demain, il le faut. Ne m’en demandez pas davantage ; en route, je vous dirai tout.

— Demain, demain ! dit la tante ; que s’est-il donc passé ? Ta, ta, ta, quelle fille décidée ! Et pourquoi ce voyage ? Voyons, laissez-vous voir.

Elle prit la lampe et la tourna brusquement pour en diriger la lumière vers la figure de sa nièce : — Eh ! eh ! nous sommes bien pâle, et comme nous tremblons, Sabine ! Il y a là-dessous quelque gros secret, des chagrins d’amour peut-être ? oui, oui, des amourettes. Tiens, tiens, des amourettes ! Voyez-vous cette sainte nitouche ! Allons, contez-moi ça, Ninette, et dans le plus grand détail.

Mlle  Blandine entrevoyait des aventures romanesques, et déjà sa vive imagination battait la campagne. — Ta, ta, ta, reprit-elle en se déshabillant à la hâte, qui l’aurait cru ? Vous allez tout me dire, mais laissez-moi vite me mettre au lit ; je veux prendre mes aises pour vous entendre, ne me dites rien que je ne sois couchée. Ah ! m’y voilà ; passez-moi encore un oreiller sous les reins. Très bien. Je