Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jean-de-Dieu. Comment congédier sans trop d’esclandre cette bande de tragédiens ? Et qu’aurait-elle pensé si elle avait su que M. Cazalis se proposait de prendre à sa solde tous les acteurs récalcitrans, au taux le plus élevé des journées de travail ?

Tout à coup la Zounet fit son entrée à grand fracas, le visage en feu, les bras au ciel. — Ah ! mademoiselle, mademoiselle, c’est une maison au pillage ! Cascayot leur a ouvert toutes les portes, ils sortent du cellier, le fruitier est ravagé, ils vont tout massacrer dans la garenne ! Il me manque trois poules. On est entré au pigeonnier, et ma cuisine est pleine de plumes !

— Faites-en des oreillers, dit le lieutenant.

— Et les sénateurs qui sont encore à la cave. Quel malheur !

— Qu’ils y restent. Mes vins sont les premiers crûs du midi. À l’heure du dîner, il n’en manquera pas un, et pour mon premier acte je n’ai besoin que des grands rôles.

— Mais Perdigal et sa bande ? dit Zounet.

— Or çà, la paix, silence ! Et vous, sergent Tistet, jetez-moi cette folle à la rue. Tonnerre de Brest ! consigne militaire. Restez de garde à la porte ! — Mon ami, reprit-il en offrant le livre à l’officier de gendarmerie, à vous les honneurs de Voltaire. Nous commençons. — Ma sœur, vous êtes bien aimable de nous être revenue. Je suis ravi de votre présence. Soyez tout oreilles… À toi, Espérit :

César, tu vas régner…

La répétition se poursuivit sans autre accident. À la fin de l’acte, l’officier se déclara fort satisfait de ce qu’il avait vu et entendu. Il donna de grands éloges aux acteurs, et la présidence du banquet lui fut offerte. Il accepta de grand cœur, s’assit au fauteuil et porta la santé du roi ; M. Dulimbert riposta par un toast aux dames, sexe charmant ; alors tous les beaux diseurs de la troupe prirent la parole et firent des motions : on but à la Pologne, aux arts libéraux, au peuple français, à l’empereur, à la guerre d’Afrique, aux Cazalis, à tout le monde, à Bolivar !

Après les toasts, le lieutenant lut un projet de règlement en dix articles par lequel les acteurs s’engageaient, sur l’honneur, à consacrer tous leurs dimanches à l’étude de la Mort de César. Le règlement fut voté d’acclamation sans qu’on en eût écouté un seul mot. On chanta au dessert tous les chœurs de la Muette, et les convives se séparèrent un peu gris et très heureux.


VI.

Marcel n’avait pas assisté à ce banquet, car il avait à faire dans la matinée un chargement d’épines du côté de la Bernarde, et la