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elle le transmettait à sa descendance tel qu’elle l’avait reçu, intact et vénéré. Elle se faisait une joie de cette obéissance filiale ; elle en était récompensée outre mesure. Par le seul fait de cette adhésion loyale, absolue, qu’elle donnait aux enseignemens de l’église, elle se trouvait en possession d’idées générales très étendues et fécondes ; son esprit travaillait sur ce fonds inépuisable, et jamais ne s’exerçait à faux. Les vérités même les plus hautes lui devenaient familières, mais alors seulement qu’elle était appelée à les réaliser dans sa vie : elle aurait redouté de recevoir des connaissances qui seraient restées sans emploi, elle les acceptait comme un secours dans l’action, pour enchaîner plus fortement sa conscience, pour marcher d’un pas plus ferme dans le chemin du sacrifice. Nulle trace de rêverie dans cette âme méditative, nulle curiosité vaine. Recueillie et toujours agissante, réveillée, toujours présente à elle-même, jamais elle ne donnait prise aux imaginations ; jamais son être ne se dédoublait pour ainsi dire, et ce n’était pas une partie d’elle-même, c’était toute sa personne qu’elle présentait à la lumière. Par cet accord constant de ses actes et de ses pensées, par l’imité de sa vie, par un profond respect de la réalité, elle était entrée si avant dans la simplicité première, qu’elle se trouvait en rapport naturel et libre avec toute vérité, de quelque ordre qu’elle fût. Ainsi, même en dehors des choses de la foi, les problèmes les plus difficiles s’éclairaient pour elle d’une vive clarté, et dans les questions qui lui étaient tout à fait étrangères, d’un tact très sûr, elle discernait l’erreur sous les apparences les plus trompeuses.

L’enthousiasme religieux se rencontrait chez la Damiane avec un sens pratique très rigoureux qui n’en était que la confirmation. Cet esprit positif éclatait dans tous ses actes. Pour ce cœur si fortement attiré vers le souverain bien, pour cette âme qui montait si haut dans la claire intelligence de la beauté invisible, rien n’était à dédaigner dans les choses de la terre, dans les plus humbles devoirs. Elle acceptait la vie avec toutes ses laideurs et ses trivialités, elle la traversait sans illusions comme sans mépris, et dans sa persévérance elle se prêtait assidûment aux exigences les plus vulgaires d’une existence commune et bornée. Elle mettait toutes choses à leur place ; elle portait en elle la vraie mesure. Cette mère de famille, dont la maison ne se soutenait depuis vingt ans que par des prodiges d’économie et de vigilance, cette travailleuse infatigable, cette ménagère était pour tous un exemple du plus pur détachement. Nuit et jour elle veillait aux intérêts des siens avec une ardeur incroyable ; toutes ses heures étaient emportées dans un tourbillon d’affaires courantes, de ventes, de négoces, de tracas et de soins domestiques, et dans cette activité extraordinaire, au milieu de ces mille difficultés d’une