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profondément. À la douceur, à la gravité de ces paroles, à l’accent jeune et pénétrant de cette voix émue par la plus tendre amitié, Espérit croyait reconnaître, il retrouvait vraiment la voix de sa mère et toute son âme, comme au jour où la Siffreine se relevait sur son lit d’agonie, pâle et tremblante, les mains roidies, les yeux éclairés des sourires de la mort, mais l’esprit vivant encore et libre, et toutes ses forces se concentrant dans ces adieux suprêmes. Dans ces dernières heures, la Siffreine n’avait eu qu’une sollicitude : mourante, elle enseignait encore à son fils les vérités du salut, et sur ses lèvres glacées, les dernières paroles, les dernières prières murmuraient le nom d’Espérit. Comme cette mère qu’il avait perdue, la marraine Damiane, cette seconde mère que lui donnait l’église, au plus fort de ses souffrances, ne s’occupait que de lui ; agonisante, elle veillait encore sur Espérit, elle lui prêtait assistance.

La nuit fut très douloureuse et très agitée pour la Damiane. Au matin, vers trois heures, une crise heureuse se déclara contre toute attente, et ses amis reprirent courage. Le mieux se soutint dans la journée, la nuit suivante fut plus calme, et les médecins laissèrent espérer que, si ce doux sommeil se prolongeait jusqu’au jour, la Damiane était sauvée. Le soleil était déjà très haut lorsqu’elle se réveilla. Les médecins recommandaient encore les plus grands ménagemens ; Espérit évitait de l’approcher. Il avait pris pour lui les soins du ménage ; il ne venait au chevet du lit que lorsqu’elle sommeillait ; dès qu’elle rouvrait les yeux, il s’éloignait de quelques pas, de peur qu’elle ne vînt à lui parler. Quelles anxiétés pendant ces heures silencieuses qu’il passa ainsi auprès d’elle ! Et dans les jours qui suivirent, quels retours de joie, quelles craintes toujours nouvelles, jusqu’à ce qu’elle fût entrée en pleine convalescence !

Cette convalescence de la Damiane fut très longue. Espérit ne quittait plus les Sendric ; le jour, il aidait aux travaux du four et du jardin, et vers le milieu de la nuit, il relayait l’ami Marcel au chevet de la Damiane. À peine dormait-il quelques heures, mais ces fatigues lui étaient légères : auprès de sa marraine, il vivait d’une vie nouvelle, il lui suffisait d’être à ses côtés, de la voir, de l’entendre, pour se sentir ranimé. Sans longs discours, en quelques mots, sonvent même sans paroles, elle le remplissait d’un grand courage ; elle répandait autour d’elle la chaleur et la lumière par sa seule présence, par le rayonnement de son âme.

La nuit, en veillant la Sendrique, Espérit pensait souvent à grandes inquiétudes dont il avait souffert dans la société de Lucien. Que d’années vécues dans ces quelques mois qui venaient de s’écouler ! Délivré maintenant de ces agitations stériles, redressé, ravivé, il reconnaissait quelle forte assistance lui était venue de la Damiane