Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nedjed appelé Sidi-el-Arabi, voyant sa secte vaincue et dispersée par les troupes de Méhémet-Ali, abandonna son pays; après plusieurs aventures, il arriva à Fez avec quelques-uns des siens, et s’y établit. Il commençait à y faire des prosélytes, lorsqu’il mourut, laissant la conduite de la petite église qu’il avait fondée sous la direction de Mohammed-el-Medani, un de ses compagnons. Celui-ci, ayant excité les soupçons du gouvernement marocain, fut obligé de quitter le pays. Il se rendit à Alger avec les siens, mais la manière dont il y fut accueilli par les Turcs, alors dans l’année qui devait être la dernière de leur domination, ne lui permettant pas de s’y fixer, il poussa jusqu’à Tunis, où il ne fut pas mieux reçu. Enfin il trouva le repos qu’il cherchait à Mezurate, dans la régence de Tripoli, ce pays plus tolérant en matière de religion qu’aucune contrée musulmane. Il s’occupa là à propager sa doctrine, qui, s’étendant de proche en proche, fit invasion dans les états tunisiens et même en Algérie, où elle se maintient encore.

Les Wahabites d’Afrique ou Medaniah, — ainsi appelés de leur chef Mohammed-el-Medani, — professent le déisme, mais un déisme moins froid que le déisme philosophique, car ils ont l’esprit religieux, c’est-à-dire la croyance dans les rapports de l’homme avec Dieu, manifestés par la prière et développés par la contemplation. Seulement ils ne tiennent pas à la forme. Ils n’admettent d’autres dogmes que l’unité de Dieu, l’immortalité de l’âme, les peines et les récompenses de l’autre vie. Comme ce sont là les bases de toutes les religions raisonnables, ils regardent celles-ci comme toutes également bonnes, et sont du reste d’une grande indifférence pour le culte extérieur. Ils en veulent bien un, mais n’importe lequel; cependant, étant en pays musulman, ils suivent le culte musulman à quelques modifications près. Seulement ils repoussent bien loin toute pensée d’exclusion, de violence, d’intolérance, et proclament la fraternité universelle. Je dois dire qu’il y a un peu de vague dans la manière dont ils expliquent leur doctrine, et que leur langage offre quelque différence suivant qu’ils parlent à un chrétien ou à un musulman. Il n’en est pas moins certain qu’ils appartiennent, autant qu’on peut le dire d’hommes à demi barbares, à cette classe de penseurs ou de rêveurs, si l’on veut, qui croient que toutes les formules religieuses, même les plus contradictoires en apparence, sont conciliables dans le fond, puisqu’elles ont toutes pour but l’expression des grandes vérités primordiales, intuitives et indémontrables. L’école musulmane de Mezurate se rapproche singulièrement de l’école chrétienne des unitaires d’Amérique; c’est de part et d’autre l’éclectisme religieux. Les Medaniah sont des gens d’une vie très régulière. Je les ai principalement connus à Soussa, que j’ai longtemps habité, et où