Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Depuis que ces études ont paru, une révolution a éclaté en Espagne. Les hommes que M. de Mazade avait vus à la tête des affaires sont rentrés dans la vie privée, un grand nombre a quitté La Péninsule ; mais le gouvernement seul a été renouvelé. Le caractère de la nation, ses idées, ses passions, les forces mêmes des partis qui se disputent le pouvoir depuis si longtemps, rien de tout cela n’est changé, et le livre de M. de Mazade reste encore le meilleur guide pour ceux qui veulent être au courant de ce qui se passe de l’autre côté des Pyrénées. Plein de sympathie pour le peuple espagnol, comme tous ceux qui Tout connu, l’auteur se montre un juge toujours impartial, quelquefois peut-être un peu indulgent. Il croit au bien, il le cherche, le découvre sans peine et se plait à le mettre en lumière, il ne déguise pas les fautes commises par le parti politique qui à ses justes prédilections, mais il apprécie les bonnes intentions, les illusions généreuses, l’honorable crédulité d’hommes nouveaux dans la science de gouverner. Si M. de Mazade avait pris la tâche facile de censeur, il aurait pu signaler l’inexpérience de quelques-uns, la légèreté, l’insouciance du plus grand nombre ; mais il s’est proposé un but plus élevé, plus noble, et ce but, il a su l’atteindre avec talent. Il a pris pour sujet de ses études les hommes les plus distingués de l’Espagne dans la politique, les lettres et les sciences. Ses portraits, malgré le changement de fortune de plusieurs des personnages qu’il dessinait il y a quelques années, ont conservé toute leur ressemblance.

P. MÉRIMÉE.


TRAVAUX RÉCENS SUR LA MORALE DE KANT.[1]

Le mouvement des études et des publications philosophiques que le bruit de tant d’événemens et l’inévitable cortège d’émotions et de distractions qu’ils traînent après eux sembleraient depuis trois ans avoir dû sinon arrêter, au moins ralentir, n’a fait que s’accuser davantage au contraire. La raison en est simple, et les esprits élevés la pressentent avant que nous l’exprimions. Cicéron, il y a vingt siècles, la gravait dans ces paroles qui semblent à toutes les époques de révolution destinées à redevenir la devise des âmes fières : Litteræ conticuerunt forenses et senatoriæ ; nihil ogure autem quum animas non posset… existimavi honestissime molestias posse deponi, si me ad philosophiam retulissem. Parmi les esprits sérieux de nos jours dont cette maxime est la règle de conduite, on doit compter l’intelligent et laborieux traducteur de la Critique du Jugement et de la Critique de la liaison pure. M. Jules Barni nous donne aujourd’hui la version entièrement neuve de deux autres ouvrages de Kant, les Élémens métaphysiques de la Doctrine du Droit et les Élémens métaphysiques de la Doctrine de la Vertu.

Kant est un des membres de cette incomparable et immortelle famille d’esprits dont Socrate est le père, et dont Platon, Aristote, Plotin, Descartes,

  1. Élémens métaphysiques de la Doctrine du Droit, — Élémens métaphysiques de la Doctrine de la Vertu, traduits de l’allemand d’Emmanuel Kant par M. Jules Barni ; 3 vol. in-8 », Paris, chez Durand.