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Byzantins, sur la configuration du sol, les montagnes et les cours d’eau, la flore et la faune de la péninsule, n’avaient été recueillis que d’une manière incomplète et sans direction suivie. C’est à ce genre de recherches que M. de Tchihatchef a cru devoir au contraire s’attacher, en les coordonnant avec l’ensemble des observations qu’il a été à même de faire sur l’aspect physique du pays. Quoique ces considérations rétrospectives, qui sont l’archéologie appliquée aux monumens de la nature, ne soient que secondaires dans un livre dont le sujet appartient principalement au domaine des sciences naturelles ou exactes, elles y prennent une place et une importance assez considérables lorsqu’elles servent à résoudre les questions encore litigieuses de la géographie ancienne ; c’est ainsi que la détermination de remplacement des antiques villes d’Héraclée et de Milet, dans l’Ionie, est éclaircie par l’étude des transformations géologiques qui, à une époque comparativement récente, ont produit le lac Akiz-Tchaï, reconnu par M. de Tchihatchef comme un reste du golfe latmique de Strabon. C’est ainsi encore que l’examen des cours d’eau de la Troade, dont la position et le régime hydrographique ont joué un si grand rôle dans les controverses auxquelles a donné lieu la géographie homérique, lui sert à démontrer que le torrent d’Evjilar ne saurait être la source véritable du Mendéré-Sou, le Simoïs de l’Iliade, comme l’ont pensé Lechevalier et les docteurs Hunt et Carlyle, et que cette source se trouve sur le revers du rempart granitique de l’Adjeuldiren-Dagh, prolongation orientale du Kaz-Dagh, l’Ida des anciens, et non sur le Kaz-Dagh même.

L’auteur, qui avait précédemment visité les régions de l’Altaï occidental, à peine rentré en Europe, en 1845, et après avoir fait paraître à Paris la relation de ce voyage, se hâta de se mettre en route pour l’Asie-Mineure. Cette nouvelle pérégrination se présentait à ses yeux, comme il nous l’apprend lui-même, non-seulement avec la perspective d’une œuvre utile à la science par les résultats qu’elle promettait, mais aussi avec le charme d’une tâche sympathique, en le conduisant dans des lieux consacrés par le prestige du plus beau soleil du midi et des plus merveilleux souvenirs du passé.

Cinq années consécutives ont été employées par lui à les parcourir. Doué d’une ardeur et d’une activité infatigables, servies par une constitution des plus robustes, parlant couramment la langue turke et, portant le costume nizam avec assez d’aisance pour pouvoir, au besoin, passer aux yeux des indigènes pour un aga des bachi-bozouks, l’intrépide voyageur est parvenu seul, et sans autre escorte qu’un Tartare et un séis[1], à mener à bonne fin une entreprise qui semblait exiger les efforts réunis d’une association de savans soutenus par la puissante sollicitude et la subvention d’un gouvernement. De retour à Paris pour faire imprimer son livre, il se proposait, aussitôt que la publication en serait terminée, de repartir pour visiter l’extrémité orientale de l’Asie-Mineure, qu’il avait réservée pour une prochaine campagne, lorsque la guerre actuelle, en se prolongeant, est venue le forcer d’ajourner ce projet. Malheureusement il est à craindre, même dans

  1. Seis, mot arabe qui est passé en turc, et qui signifie l’homme chargé de dresser ou de soigner les chevaux, un palefrenier.