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chêne dans la forêt de Fontainebleau, un étalon dans une prairie normande ou anglaise, qu’il les copie avec la fidélité la plus scrupuleuse, et non-seulement il sera vaincu dans cette lutte imprudente engagée avec la nature, mais il n’approchera ni de Ruysdael ni de Géricault, qui ont choisi une autre voie. Ruysdael et Géricault sont puissans et variés parce qu’ils n’ont vu dans l’imitation qu’un moyen, et qu’ils ont pris pour but l’expression de l’idéal. Il y a dans leurs œuvres un caractère personnel, un charme de nouveauté qui ne s’est jamais concilié, qui ne se conciliera jamais avec l’imitation littérale. Chose digne de remarque, dans le monde moral le sensualisme conduit à la servitude en plaçant le bien-être matériel au-dessus du droit; dans le domaine de l’art, le réalisme abolit l’indépendance, supprime l’expansion du génie : c’est dire que ces deux doctrines sont condamnées sans retour.

Mais comment réveiller le sentiment de l’idéal? Comment ramener les peintres, les statuaires et la foule à la vraie notion de l’art? Deux moyens se présentent, deux moyens que l’expérience individuelle a consacrés depuis longtemps, et qui cependant n’ont pas encore été appliqués d’une manière générale et simultanément : l’éducation et les encouragemens. Je ne veux pas médire de mon pays, la France fait pour les arts autant et plus peut-être que toutes les autres parties de l’Europe; l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, l’Académie de France à Rome pourraient devenir d’excellentes institutions : elles ne rendent pas les services qu’on aurait le droit d’en attendre, parce qu’elles sont incomplètes. La réforme, si un homme investi d’une autorité suffisante osait l’entreprendre, devrait porter d’abord et surtout sur l’école de Paris, car c’est là que se trouve le vice radical de l’éducation des artistes. C’est là qu’il faudrait tenter le rajeunissement de la peinture et de la statuaire. De quoi se compose l’enseignement de l’école de Paris? Pour les peintres et les sculpteurs, il se réduit à la pratique du métier; pour les architectes, il comprend tout à la fois la théorie et l’histoire : malheureusement, comme l’école n’a institué aucun examen, aucun concours pour l’histoire de l’architecture, cette dernière partie de l’enseignement demeure complètement illusoire. Les élèves négligent trop volontiers les leçons qui ne sont pas obligatoires. Pour les peintres et les sculpteurs, on peut dire sans raillerie qu’il n’est question ni de théorie, ni d’histoire. Tout se résume pour eux dans le maniement du pinceau et de l’ébauchoir. Dessiner d’après la bosse, d’après le modèle vivant, peindre ou modeler une tête ou une figure, tels sont les exercices proposés aux élèves avant leur entrée en loge pour le concours de Rome. Quant aux notions générales sur les principes ou l’histoire de l’art, il n’en est pas question, et celui qui hasarderait une telle pensée dans la réunion