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contentent-ils de retracer la nature qu’ils ont devant les yeux? n "interrogent-ils pas les traditions historiques et religieuses? Mais pour choisir, pour traiter de pareils thèmes, il faut du loisir et de l’espace. La division de la richesse a rétréci l’espace; la transformation du sentiment religieux a rétréci le champ de la pensée chez le peintre et chez le spectateur.

Je ne m’étonne donc pas de l’importance exagérée accordée aujourd’hui à l’imitation. Il était facile de prévoir ce qui arrive, ce qui se passe sous nos yeux n’a rien d’inattendu; mais s’il était facile de le prévoir, il ne serait pas sage de l’encourager. Quel que soit le mérite des peintres voués à l’imitation pure, il ne faut pas se lasser de leur répéter qu’ils font fausse route, ou plutôt qu’ils s’arrêtent à moitié chemin. Dans la peinture, dans la statuaire, comme dans la poésie, l’imitation n’est qu’un moyen, et ne sera jamais le but. La division de la richesse et la transformation du sentiment religieux n’ont pas créé cette méprise, qui est aussi vieille que le monde; elles ont servi à la populariser. A mesure en effet que la richesse, au lieu de se partager entre un petit nombre de familles, s’est répandue successivement dans les diverses classes de la société, tout homme arrivé à l’indépendance par son travail personnel ou par le travail de son père a possédé sa part de loisir. Exempt de souci pour la satisfaction de ses besoins matériels, il a cherché les joies de l’intelligence, et l’art s’est offert à lui comme un moyen de contenter ce besoin nouveau; mais comme le loisir était pour lui ou pour sa famille chose toute nouvelle, il n’avait pas eu le temps de le mettre à profit pour éveiller ou pour développer le sentiment de la beauté. Ce n’est pas ici un grief que j’articule, c’est un fait que j’énonce, et que chacun de nous peut vérifier en portant ses regards autour de soi. Les facultés les plus heureuses ne peuvent s’épanouir que dans un milieu propice. Le sentiment de la beauté, instinctif chez quelques natures privilégiées, n’arrive à son entier développement que par des comparaisons nombreuses. Or, quand un homme doué d’une intelligence vigoureuse, d’une volonté énergique, a dépensé les deux tiers de sa vie dans l’exercice d’une profession commerciale ou libérale sans jamais se préoccuper de la beauté, il n’est pas étonnant qu’arrivé à l’heure du repos, il ne soit qu’un juge très incompétent dans toutes les questions qui se rattachent à la peinture, à la statuaire. Tout le monde veut s’y connaître, et pourtant les connaisseurs ne se comptent pas par centaines. Au prix d’un peu de réflexion, on cesserait de s’en s’étonner. Personne en effet ne croit qu’on s’éveille un beau matin avec la faculté de distinguer telle ou telle nature de tissu. Pour ces questions toutes matérielles, chacun reconnaît non-seulement l’utilité, mais la nécessité d’un -