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et la peinture. Que depuis cinquante ans les travaux destinés à la décoration des palais et des églises aient été souvent distribués de façon à contenter les Mécènes plutôt que le public, c’est un fait acquis à l’histoire, un fait malheureux, mais qui ne détruit pas l’importance du rôle joué par l’état. Sans cette puissante intervention, aurions-nous l’Apothéose d’Homère, le Martyre de suint Symphorien, le Triomphe d’Apollon? Sans l’intervention du pouvoir municipal, auxiliaire souvent heureux du pouvoir central, aurions-nous le Salon de la Paix? J’ai donc le droit d’affirmer que chez nous la condition de la peinture est meilleure que dans le reste de l’Europe, car je ne vois pas chez les nations voisines une œuvre de cette valeur, et ce n’est pas aux fortunes privées qu’il appartient de susciter de telles créations. Un banquier pourrait se passer la fantaisie d’acheter ces toiles; mais songerait-il à les commander?

J’entends dire que le parlement anglais a voté une somme énorme pour la décoration de la nouvelle salle où il tient ses séances. C’est une pensée excellente, à laquelle doivent applaudir tous les bons esprits, tous ceux qui aiment à voir la peinture encouragée par les pouvoirs publics, et qui comprennent non pas seulement l’utilité, mais la nécessité de leur intervention pour l’accomplissement des œuvres de haut style. Cependant, si j’approuve la résolution du parlement, je doute qu’elle porte ses fruits, quant à présent du moins. Que l’Angleterre, si amoureuse des précédens dans toutes les branches de l’administration, mette la résolution du parlement au même rang que les décrets royaux, et règle sa conduite future d’après ce précédent nouveau, il est permis d’espérer qu’il se présentera des peintres pour justifier la munificence du parlement; mais aujourd’hui, à l’heure où je parle, où est le pinceau qui va décorer la nouvelle salle des séances? Nous avons sous les yeux les œuvres de l’école anglaise; parmi ces œuvres, y en a-t-il une seule dont l’auteur semble désigné pour l’accomplissement d’une telle tâche? Les plus habiles ont employé toute leur vie à travailler pour l’aristocratie, qui ne songe guère aux œuvres de haut style. L’artiste chargé de la décoration du nouveau parlement n’aura donc pour se guider que les compositions de Rubens à White-Hall, et quelle que soit l’excellence d’un tel conseil, il n’est pas certain qu’il en sache profiter, car l’esprit de notre temps, au-delà comme en-deçà de la Manche, n’accepte pas volontiers l’emploi de l’allégorie, et Rubens en usait largement. D’ailleurs les plus charmans tableaux de genre ne garantissent pas l’aptitude de l’auteur pour les compositions historiques. Pour la mesure du savoir, la proportion des figures n’est pas indifférente, et tel défaut, telle incorrection, qui demeurent cachés au plus grand nombre des spectateurs tant que la toile ne dépasse pas les