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commissaires-priseurs préposés à la vente publique des collections de peintures. Ils verraient que les Mécènes de la finance renouvellent à peu près tous les dix ans leurs galeries, qu’ils semblaient chérir. Ce qui se passe chez nous peut servir à pressentir ce qui se passe en Italie, en Belgique, en Hollande. Il est vrai que le gouvernement pontifical a prohibé l’exportation des tableaux précieux; mais cette prohibition ne s’applique pas aux ouvrages modernes, et concerne exclusivement les ouvrages des maîtres anciens, dévolus à l’aîné d’une grande famille comme faisant partie de son majorât. D’ailleurs, sauf quelques rares exceptions, l’aristocratie romaine n’a plus guère aujourd’hui qu’une existence nominale, et n’est pas en mesure d’encourager la peinture. La bourgeoisie romaine, inactive et indolente, ne songe pas à s’enrichir; elle ne manque pas de goût, mais elle doit s’en tenir à l’admiration du passé; tant qu’elle n’aura pas changé ses habitudes, elle ne pourra rien ni pour le présent ni pour l’avenir. Florence et Milan ne partagent pas l’indolence de la bourgeoisie romaine; elles sont laborieuses, et l’on voit s’élever en Toscane et en Lombardie des fortunes qui n’ont rien à démêler avec le hasard de la naissance. Florence et Milan ne font rien pour la régénération de la peinture. La Belgique et la Hollande se conduisent-elles autrement? la pratique du commerce n’absorbe-t-elle pas la meilleure partie de leurs facultés? Que ceux qui ont visité Bruxelles et Anvers, Amsterdam et La Haye, interrogent leurs souvenirs. L’Espagne catholique possède encore une grandesse, mais l’Espagne s’agite pour conquérir dans l’industrie le rang qu’elle occupait autrefois dans la politique, et la grandesse prend des actions dans les chemins de fer, au lieu de songer à décorer ses palais. Elle ne pense pas à susciter des Murillo et des Velasquez, elle pense à rétablir ses affaires, à se dégager d’obligations onéreuses, souvent même à joindre les deux bouts, comme on dit vulgairement. Rien de plus sage assurément que de libérer un patrimoine embarrassé; mais la grandesse obéit à l’impulsion commune, elle ne se contente pas de mettre ses biens en ordre, elle veut les agrandir, les doubler s’il se peut.

En Angleterre, les grandes fortunes sont demeurées debout, et nous savons que la peinture trouve chez l’aristocratie anglaise de généreux encouragemens. Plusieurs parties de l’Allemagne gardent encore des vestiges trop nombreux du régime féodal. Cependant ni l’école anglaise ni l’école allemande ne sont aujourd’hui ce qu’elles ont été. Il y a donc, outre le fait matériel que j’ai rappelé, — la division de la propriété, — un fait d’une autre nature, d’une importance au moins égale, et dont il faut tenir compte, si l’on veut découvrir la raison du présent. L’éparpillement de la richesse a tari ou du moins singulièrement appauvri la source des encouragemens.