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d’outre-Rhin n’a qu’à nommer Cornélius, Overbeck et Kaulbach. Quant à Ranch, s’il ne possède pas l’imagination de Pierre Vischer, il mérite l’attention de l’Europe par l’élévation de la pensée, par l’habileté de l’exécution.

Il n’est pas malaisé de déterminer le rang qui appartient à la France. Ni l’Allemagne ni l’Angleterre ne peuvent, en peinture, nous opposer des noms égaux à ceux d’Ingres, de Delacroix, de Decamps. Le seul artiste en Europe qu’on pourrait comparer à l’auteur de L’Apothéose d’Homère serait Overbeck; mais le prix serait adjugé à l’école française pour la pureté du style. Delacroix et Decamps, pour l’abondance de l’invention, pour la splendeur et l’harmonie, peuvent défier toute comparaison avec les peintres contemporains. Dans la statuaire, David, Barye, Pradier, font de l’école française la première des écoles. Je ne crois pas me tromper en exprimant ce jugement. Je ne crois pas avoir étudié la France avec moins d’attention et de sévérité que le reste de l’Europe.

Pourquoi les grandes écoles de peinture sont-elles aujourd’hui déchues de leur ancienne splendeur? Je n’ai pas l’espérance de signaler avec précision toutes les causes qui ont déterminé leur décadence. Il est pourtant permis d’affirmer que deux causes principales ont ralenti l’activité de l’imagination et abaissé le style dans le domaine de la peinture. La division de la propriété, en diminuant le nombre des grandes fortunes, a rendu plus difficiles et plus rares les encouragemens dont l’art ne peut se passer. Voilà un premier fait que personne ne saurait contester. En Italie, en Belgique, en Hollande, la richesse, en changeant de mains, a changé de destination. A ne considérer que le bien-être général, nous devons nous en réjouir. Le malaise de l’art, est amplement compensé par l’immense bienfait que je viens de rappeler. Déplorer aujourd’hui la division de la propriété serait pure folie; mais il est du devoir de l’historien, lors même qu’il raconte des faits purement intellectuels, d’indiquer les faits matériels qui les ont précédés. Or il n’est pas douteux que l’affaiblissement des grandes écoles coïncide avec la division de la propriété. Les grands seigneurs encourageaient la peinture; les hommes qui naissent pauvres et qui s’enrichissent par leur travail possèdent rarement les mêmes goûts que les hommes nés au sein de la richesse. Que ce soit un mal, que ce soit un bien, je n’ai pas à discuter cette question. Ce qu’il y a de certain, c’est que la libéralité des banquiers et des agens de change ne vaut pas pour les peintres ce que valait la libéralité des grands seigneurs. fin financier habitué à calculer, à prévoir le bénéfice de ses moindres actions, n’achète presque jamais un tableau sans une arrière-pensée de gain. Ceux qui en douteraient n’auraient qu’à consulter les