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affichée avec plus de hardiesse. J’aperçois bien quelque chose que l’auteur a voulu nous donner comme des têtes, et quoiqu’il n’y ait pas une partie du visage modelée d’après nature, je dois lui tenir compte de l’intention ; mais la forme du corps n’est pas même indiquée. C’est un défi porté à toutes les lois de la peinture. Ces robes si coquettement étalées ne contiennent absolument rien. M. Madrazo aurait vingt fois le droit de se plaindre, si, après avoir blâmé comme je le devais ses portraits de la duchesse de Medina-Cœli, de la duchesse d’Albe et de la comtesse de Vilches, je laissais passer sans mot dire la toile de M. Winterhalter. Tout en reconnaissant que le dernier manie le pinceau avec plus d’adresse, je suis obligé de mettre dos à dos le peintre espagnol et le peintre adopté par l’école française, car l’un et l’autre se moquent résolument des conditions élémentaires de leur art : ils peignent l’étoffe sans aucun souci de la forme humaine. Ce qu’ils appellent portrait n’a rien à démêler avec le sens vrai du mot. L’élément principal, le modèle vivant, n’est pas même ébauché. S’ils possèdent la notion de la peinture, ils doivent s’étonner de leur popularité ; mais il est à craindre qu’ils ne se prennent au sérieux. Pour moi, je n’ai qu’une parole à dire pour les caractériser selon ma pensée. Tant que Madrid et Paris ne comprendront pas le néant de leurs œuvres, le goût de l’Espagne et le goût de la France seront bien malades.

Il y a en France deux noms très populaires que je n’ai pas même écrits en parlant de l’école française. J’entends dire que mon silence est mal interprété ; on va jusqu’à me reprocher de méconnaître les gloires nationales. Le reproche est grave, et je ne veux pas rester plus longtemps sous le coup d’un si terrible réquisitoire. Avoir omis dans le tableau de l’école française MM. Horace Vernet et Théodore Gudin, est-ce donc vraiment un si grand crime ? Ils ont pour eux le succès, le nombre des commandes, l’empressement des amateurs qui achètent à l’envi leurs moindres ébauches. Mon silence ne peut leur porter aucun préjudice : que je les vante ou que je les blâme, leur condition ne changera pas. Ils sont en possession de la faveur publique, et mon silence pas plus que ma parole ne peut les atteindre. De quoi donc se plaignent leurs amis et leurs admirateurs ? Pour expliquer mon silence, je n’ai qu’un mot à dire : MM. Théodore Gudin et Horace Vernet n’ont pas pour moi de sens historique. S’il se rencontre dans leur nombreuse clientèle un esprit assez pénétrant pour leur attribuer une signification que je n’ai pas su découvrir, je suis prêt à écouter, et j’accueillerai de grand cœur cette révélation inattendue. Jusque-là le lecteur trouvera bon que je m’abstienne à leur égard. Il ne faut pas confondre la discussion avec l’achalandage, et ceux qui me reprochent mon silence me paraissent dominés