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héros de la force brutale venaient abaisser leur jactance auprès du petit Marcel, du petit Sendric, Marcellet, Sendriquet. Dans leurs bouches, ces diminutifs prenaient un sens tout affectueux ; on lui savait gré de sa faiblesse physique ; on l’exagérait à plaisir, et la force ne s’étalait ainsi que pour dire : « Nous sommes le secours et la protection ; laisse-nous ces durs labeurs, c’est bon pour nous. Pour nous, c’est un jeu, et notre Marcel a mieux à faire. Sendriquet, retourne à tes livres. »

A la première aube, quand les troupeaux sortaient des étables, les bergers qui s’en allaient à la montagne s’arrêtaient au pied de la tour où logeait Marcel ; la lampe du jeune savant brillait à la fenêtre, et jetait ses lueurs, comme une étoile du matin, sur cette route sombre. — Voilà notre Marcel à ses livres, disaient les bergers. Salut, Marcel ! adieu et bon courage ! — Bon courage, Marcel ! ce cri était dans tous les cœurs. On attendait de Marcel des merveilles, on rêvait pour lui des succès éclatans ; c’était l’enfant du pays, l’honneur de la commune, ils l’avaient adopté, ils avaient foi en lui ; ils mettaient en lui leur orgueil, et franchement, naïvement, sans arrière-pensées jalouses ; c’était une fraternité vraie, une amitié généreuse, quelque chose de semblable au désintéressement si chrétien de ces vieux soldats résignés à l’obscurité, inconnus après vingt batailles, et dont les âmes libres d’envie tressaillent quand la gloire vient prendre par la main leur jeune capitaine. Ils avaient bien compris à quel point Marcel était resté en union avec eux, par quelles attaches vives il tenait au pays. A son retour au village, après quatre ans d’absence, quelles émotions tendres et pures le remuèrent au plus profond de l’âme, quand il entendit de loin les sonneries du clocher de Seyanne ! Il traversait le cimetière, lorsque tout à coup les carillons reprirent à pleines volées ; c’était un jour de Pâques, jour de triomphe et d’allégresse au ciel et sur la terre. Que de choses lui dirent alors ces cloches du pays ! Et, comme ces cloches qui chantaient pour lui, les amis, la famille, l’église, toutes les voix du foyer pouvaient lui redire : « Tu nous reviens tel que tu es parti, le cœur fidèle et jeune ; entre nous, rien n’est rompu ; ainsi que nous t’aimons, tu nous aimes, et tes pas ne sont pas ceux d’un étranger sur cette terre où dorment les ancêtres ! »


Jules de la Madelène.