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de gens aux Turcs dans l’intérieur de la ville, qu’Othman, craignant une défection, abandonna la partie et s’enfuit chez les Arabes du dehors, qui ne tardèrent pas à le livrer. La ville ouvrit ses portes, et les Turcs en prirent possession le août 1836. Taher-Pacha rentra triomphant à Tripoli. Il était encore à son camp de Mezurate, lorsque parut auprès de lui un homme destiné à payer de sa tête les relations qu’il eut à cette époque avec la Turquie. Cet homme était Chekir, sahab-tabah ou premier ministre (littéralement garde-du-sceau) du bey de Tunis, qui lui fit don de 200 chevaux, plus en son nom qu’en celui de son maître, qu’il trahissait.

De retour à Tripoli, le capitan-pacha prit en main les rênes de l’administration, quoique Méhémed-Raïf fût toujours officiellement pacha de la province. Il se montra en tout malveillant pour les Européens, superbe, insolent même envers les consuls, affectant de considérer comme nuls les anciens traités passés avec les Caramanli. Il établit des droits de consommation sur tout, et voulut même élever à 10 pour 100 les droits de douane, fixés à 3 par ces mêmes traités; mais il fut obligé de céder sur ce point aux énergiques protestations du consul de France. L’échec que nous éprouvâmes devant Constantine au mois d’octobre 1836 rendit Taher-Pacha plus insolent que jamais envers les Européens. Il annonçait publiquement qu’Abd-el-Kader d’un côté et Ahmed-Bey de l’autre ne tarderaient pas à chasser les Français de l’Algérie, qui rentrerait sous la domination de la Porte. Il se mit en rapport direct avec le bey de Constantine, et machina avec le sahab-tabah Chekir des projets aussi contraires à nos intérêts qu’à ceux du petit souverain de Tunis, dont ils menaçaient l’existence politique. Au printemps de 1837, il marcha en personne contre le Gharian. Sa position venait de changer : il n’était plus capitan-pacha, mais bien gouverneur-général de la Tripolitaine en remplacement de Méhémed-Raïf. Il n’eut pas grand succès, et rentra au bout de quelque temps sans avoir pu ébranler la position de Gumma. Peu après, il fut remplacé dans le gouvernement de Tripoli par Hassan-Pacha. Taher était un Turc de la vieille roche, féroce et ignorant. Un jour, pendant qu’il donnait en son palais audience à des négocians européens, on lui amena un soldat qui avait fait quelque bruit dans la ville : il le fit aussitôt précipiter de la terrasse où il se trouvait, et reprit sa conversation.

Le rappel de Taher n’était motivé que par le peu d’habileté qu’il avait déployé dans son commandement, car la Porte ne renonçait pas à ses projets sur Tunis et sur Constantine, dont Taher avait le secret. Vers la fin d’août 1837, Ahmed-Muchir, nouveau capitan-pacha, arriva à Tripoli avec une forte division de la flotte ottomane. Il avait avec lui Othman, l’ancien aga de Mezurate, que Taher avait conduit