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bouffettes, tuyautés, fuselés, dentelés, tressés en torsades, courant en zigzag, s’enroulant en spirales. Cascayot, pendu à la queue de la mule, cabriolait, gambadait et faisait claquer son fouet en postillon. Mlle Sabine courait en avant sur son petit cheval corse, que les paysans avaient surnommé le Garri (le rat). La jeune fille se plaisait à soulager de leur fardeau les bonnes femmes qu’elle rencontrait en chemin. De gré ou non, il fallait qu’elles lui donnassent leurs paquets ; celles qui, par grande politesse, s’obstinaient à les garder étaient poursuivies au galop dans les terres. Mlle Sabine enlevait d’un tour de main les sacs et les paniers sous leurs bras, sur leurs têtes ; elle les accrochait aux anneaux de sa selle, devant, derrière, à la bride, aux courroies, et le Garri reprenait sa course, sautait les fossés, revenait par les haies et les vignes, bondissant comme une chèvre dans les cailloux et les épines.

Un moment où les cloches de Lamanosc sonnaient le premier coup de la messe, la famille arrivait invariablement à la lisière des Estrasses. Entre les Grayons et les Estrasses, les Cazalis étaient rejoints par les gens des granges, qui les attendaient pour faire route de compagnie, — les uns marchant sur les talus, pieds nus, souliers neufs sortant des poches, — les gens à bêtes assis sur leurs montures, jambes pendantes, nez en l’air, un pampre à la main. Les hommes venaient se grouper derrière le lieutenant, les femmes à côté de la tante Blandine, et l’on causait des affaires du temps. Chemin faisant, la caravane se grossissait encore, et lorsqu’on arrivait à Lamanosc, on était toujours une forte troupe, surtout si l’on se rencontrait au-dessous de Florans avec les gens des hameaux.

D’ordinaire Marcel Sendric venait se mettre dans la bande avec l’ami Espérit ; mais à son retour d’Avignon, Lucien avait pris l’habitude de mener son beau cheval pie sur la route de la Pioline, à l’heure du passage des Cazalis. A dater de ce jour, Marcel cessa d’aller aux Estrasses. Cependant, dès que le premier coup de la messe sonnait au clocher de Lamanosc, il ne pouvait plus rester à Seyanne, et sans s’en rendre compte, à son insu, il se trouvait toujours dans la ravine des Grayons au moment où la famille longeait les précipices. Alors une sorte de crainte l’emportait, il s’enfuyait derrière les taillis, et de loin il regardait passer les Cazalis.

A part les dimanches, Marcel, depuis son retour à Seyanne, ne quittait guère la vieille maison des Sendric, où il retrouvait tous les doux et tristes souvenirs de sa jeunesse. Cette maison est bâtie au nord de Seyanne, vis-à-vis de la Pioline ; les constructions sont engagées dans les ruines du rempart, et la cour de la boulangerie tourne sur la droite. S’il vente sud-est, le son des cloches de Lamanosc arrive dans cette cour par joyeuses volées claires et vives, qui