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— Le roi dit : Nous voulons, repartit Mlle Blandine. Eh ! eh ! bientôt l’on ne pourra plus parler dans cette maison. Jean-de-Dieu ! vos jurons ne m’intimident point ; vous n’êtes pas ici sur votre frégate, et tant qu’on aura pas bâillonné tante Blandine, tante Blandine gardera son franc parler, et l’entende qui voudra ! Avec moi, on n’a pas besoin d’écouter aux portes ; ce que je pense de votre Lucien, je le dirai partout et toujours, à votre nez, à sa barbe, dans la rue comme dans la maison, et, s’il le faut, j’irai le crier sur les toits. J’ai dit le mot, je le maintiens : un sot !

— Oh ! ma sœur, dit le lieutenant.

— Oh ! mademoiselle, dit le contrôleur.

— Oh ! monsieur Dulimbert, dit la tante Blandine en levant les yeux et joignant les mains, pour contrefaire le contrôleur, et n’y réussissant qu’à demi. Avec son menton de galoche et ses mouvemens anguleux, la vieille fille mimait d’une façon bizarre le doux et gras contrôleur, ses gestes mous, ses airs béats et galans.

— Un si parfait gentleman ! reprit M. Dulimbert, très heureux de pouvoir glisser si à propos ce mot d’anglais.

— Voilà que vous parlez cheval, vous aussi ? dit la tante ; ah ! pechère ! Admirez-le bien votre mirliflor ! admirez-le, pechère, pechère !

C’est ainsi que la tante traduisait l’exclamation populaire de peccaïre, car elle ne parlait jamais comtadin. — Il faut garder son rang, disait-elle, — et son respect pour la langue française allait si loin, qu’elle disait toujours la salée, la poivrée, pour désigner la salade, la poivrade, et tous les mots à désinence pareille qui lui faisaient l’effet d’horribles provençalismes.

— Mademoiselle, mademoiselle ! murmurait le contrôleur.

— Votre Lucien est un sot, cria l’impétueuse demoiselle ; un sot, entendez-vous ? un maître sot, un sot en trois lettres : est-ce clair ?

— Les femmes ! les femmes ! dit M. Cazalis en s’éloignant.

M. Dulimbert salua d’un air tendre, et de son geste le plus affable : — Toujours malicieuse ! dit-il. Et de l’esprit jusqu’au bout des ongles !


III.

Rien ne prouvait encore que la tante Blandine eût raison. Lucien était très souvent guindé, gourmé, cassant et rogue ; il parlait à tout venant de ses synthèses, il en parlait avec une infatuation comique, en faisant sonner haut les mots barbares. Les termes de l’argot d’outre-Rhin revenaient à profusion dans ses discours les plus familiers, comme les jurons arabes dans les déclamations du caporal Robin ; mais il y a un âge où l’on peut donner dans ces ridicules sans être précisément un sot : il est juste de faire la part de la