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pour s’assurer des bonnes dispositions du maire. Lorsqu’ils furent arrivés au plateau en saillie qui domine les mamelons des deux gorges : — Voici les bêtes d’Espérit, cria le chevrier. Entends-tu les clochettes ? Tourne à droite et salut. À l’amitié !

En trois bonds, il fut hors du chemin, sous les buissons de mûres, et, sautant de racine en racine jusqu’aux dernières pentes, il n’eut plus qu’à se laisser rouler sur les cailloutages pour descendre en quelques secondes jusqu’au fond de la gorge.

C’étaient bien les mules d’Espérit et de Marcel qui pâturaient dans la clairière, mais les bûcherons étaient en forêt. Le maire, n’osant s’engager plus avant, fit halte au carrefour, où viennent aboutir tous les sentiers de ces cols. — Mes hommes passeront ici forcément, dit-il en débridant sa jument, et me voici à l’embuscade jusqu’à la nuit s’il le faut. Allons, Mlle de la Leydette, vous êtes libre ; cherchez votre vie, belle marquise.

Perdigal, qui revenait de la chasse, vint à passer par là. — Carnier bien garni ! lui dit le maire en soupesant la gibecière vide ; c’était bien la peine d’aller si loin dans ce pays de déserteurs ! Je suis un homme de la plaine ; mais quand je chassais, je ne rentrais jamais sans une belle pièce à mettre au croc pour les amis.

— De votre temps, vous étiez plus fins que nous, répondit Perdigal.

— As-tu rencontré Espérit et Marcel dans ton chemin ?

— Oui, dit effrontément le poète ; mais si vous attendez ici, vous avez le temps de lire la gazette. Ils montent par là, à droite, par ce sentier d’où je sors. Allez toujours tout droit, le long des arbres, sans quitter la rive ; vous ne pouvez pas les manquer. Montez toujours.

— Merci, grand chasseur ! dit le maire.

— Toujours tout droit, monsieur Marins, toujours tout droit, à moins que votre Leydette ne vous laisse en route ! Je ne sais pas si elle a le pied marin.

— Des jarrets d’acier ! dit le maire en sautant en selle. Tu vas la voir filer comme un lièvre. À propos de lièvres, n’oublie pas de mettre quelques cailloux dans ton carnier ; cela lui donnera bon air.

À la descente, Perdigal aperçut Espérit et Marcel qui remontaient la rive gauche en marquant des arbres. Le maire était à leur poursuite dans la direction opposée. — Bon ! se dit Perdigal, en voilà un qui ne couchera pas dans ses draps. D’ici quatre heures, il sera nuit noire, et Tirart ne sera pas bien loin des grands précipices. Il est trop têtu pour revenir sur ses pas, il ira jusqu’au bout ; mais quand il n’y aura plus de chemin, il faudra bien s’arrêter. Alors le père Tirart s’en retournera par les bois pour prendre les traverses ; une fois dans les fayards, à la nuit, s’il s’en tire, il est plus fin qu’un