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sensiblement aussi nutritives et panifiables dans cette faible proportion, le problème serait résolu. Bientôt toute la population profiterait de l’abaissement des prix qui résulterait spontanément des quantités de farines rendues disponibles.

Quelles seraient donc les denrées susceptibles d’être introduites à ces faibles doses sans nuire à la qualité ni à la salubrité du pain? Ce seraient : — le riz, dont on a fait usage à plusieurs reprises pour cette application sans le moindre inconvénient; — la farine de maïs, dont les États-Unis regorgent en ce moment, et qui a rendu de si grands services à la population irlandaise à l’époque où les pommes de terre, frappées d’une maladie spéciale qui paraît être sur son déclin, occasionna une disette qui décima cette malheureuse population; — les fèves, qui accroîtraient notablement la faculté nutritive du pain, tout en abaissant les prix; enfin les farines d’orge et de seigle, qui en faibles doses ne présenteraient aucun inconvénient réel.

On pourrait sans doute consommer directement, comme les Indiens, le riz cuit à l’eau, comme les Italiens la farine de maïs sous la forme de bouillie épaisse appelée polenta; on pourrait se contenter de mettre les fèves en purée : toutes ces préparations remplaceraient en partie le pain avec avantage; dès lors, dira-t-on, pourquoi ne pas s’y tenir? C’est que nulle part en France la population ne consentirait à une pareille substitution. Un certain volume de pain, souvent même exagéré, paraît chez nous une nécessité absolue à laquelle tout doit céder, et sans une certaine ration sous la forme de pain, on ne se croirait pas nourri. Ne voit-on pas les paysans des Landes mettre le maïs même au four et donner à la masse de pâte compacte cuite dans des terrines le nom de pain? Ils consomment ce produit plus ou moins solide jusqu’à ce qu’il soit tout couvert de moisissure et devienne réellement insalubre. Ne sait-on pas que dans un grand nombre d’habitations du Dauphiné la préparation du pain n’a lieu que deux ou trois fois chaque année, que durant ces longs intervalles de temps les pains circulaires de grand diamètre sont accrochés à la muraille, et que, graduellement desséchés, ils subviennent à la principale alimentation des familles, — que très souvent, par les temps humides, des champignons s’y développent et doivent nécessairement nuire à la bonne qualité de cet aliment? Peu importe, le pain, fût-il insalubre, est, dit-on, indispensable, et on est si peu disposé à. en diminuer la dose, même dans ces conditions défavorables, que les mères croient faire une œuvre utile en forçant leurs enfans à manger beaucoup de pain, ne se doutant pas que, faute de leur fournir aussi en proportion suffisante d’autres alimens plus réparateurs, elles vont, contrairement à leur but, accroître parfois la mortalité dans leur famille.

On trouve encore un signe certain de la prédilection exagérée de la