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ordinairement la pluie ou seulement l’humidité altère leur grain, le déprécie : ils ont économisé 2 ou 3 francs par hectare et perdu 15, 25, 50 francs et plus sur la qualité et la quantité du grain. Ils se plaindront volontiers d’avoir eu du malheur, ils n’en feront pas moins leur raisonnement habituel l’année suivante jusqu’au jour où l’un de leurs voisins mieux avisé réussira deux ou trois fois à sauver sa récolte à l’aide des précautions simples et peu dispendieuses que nous venons d’indiquer. Alors ils se décideront peut-être à rendre le résultat certain, car dans nos campagnes les meilleurs conseils ont peu de chance d’être écoutés; les exemples seuls sont parfois suivis, et les propriétaires que leur position et leurs lumières appellent à prendre les devans en fait d’améliorations doivent accepter le rôle d’initiateurs comme un véritable devoir à remplir.

Nos remarques sur les mécomptes qui menacent les agriculteurs en matière de récoltes ont encore trouvé à s’appliquer cette année même, et c’est peut-être ici le lieu de dire un mot des ressources que nos cultures en céréales promettent à la consommation. Les espérances qu’avait fait concevoir, il y a quelques mois, le développement rapide des blés, favorisé par une température douce et pluvieuse, ne se sont malheureusement pas soutenues au moment du battage des grains. Alors seulement on put constater de fâcheux résultats que quelques observations locales avaient fait redouter. Ces tiges hautes, pressées les unes contre les autres, qui laissaient ondoyer au vent leurs nombreux et volumineux épis, donnèrent, en tombant sous la faulx, la grande quantité de gerbes sur laquelle on comptait; mais au battage les gerbes ne fournirent que la moitié, les deux tiers au plus, du grain que l’on peut en extraire habituellement. La coulure des fleurs ou l’avortement des fruits, les attaques des tiges, des organes de la floraison, par quelques insectes ou cryptogames, avaient privé les épis d’une portion notable des fruits qu’ils devaient contenir. Ces épis étaient donc en partie vides ou remplis de grains cariés et altérés de diverses manières. De là le déficit observé au moment du battage. Ainsi donc, après avoir recueilli une abondante moisson de gerbes, on n’a obtenu généralement qu’une moyenne récolte de grains, et comme les greniers étaient vides, il semble certain que la production sera inférieure à la consommation ordinaire. De là sans doute aussi les prix élevés qui se maintiennent et s’élèveraient encore, si notre récolte en céréales devait seule subvenir à nos besoins. Voyons maintenant .de quels côtés les secours peuvent nous venir<ref> Il est un moyen d’accroître nos ressources alimentaires dont les bons résultats, pour ne pas être sensibles cette année, se révéleront sans doute de plus en plus : c’est le choix des variétés de froment. On ne sera pas étonné d’apprendre que ce soit principalement en Angleterre, où les innovations utiles trouvent de si intelligens appréciateurs, que ces variétés très productives ont été obtenues. En allant chercher au-delà du détroit leurs semences, la plupart de nos bons agronomes ont réalisé les plus abondantes récoltes, de quinze à vingt-cinq fois la semence ou de 30 à 50 hectolitres à l’hectare. C’est en employant et naturalisant ces variétés connues sous les noms de blé Hickling, blé Kent, blé blanc d’Essex, etc., que MM. de Gouvion, Baillet, Decrombecque, Crespel-Delisse, Tiburce Crespel, Malingié de la Charmoise, Champigny, de la Fuge (Indie-et-Loire), Massé, de Tracy, Rabourdin, ont obtenu ces beaux résultats. Une variété analogue observée par M. Bazin, l’habile directeur des exploitations rurales du Mesnil-Saint-Firmin, est aujourd’hui fort estimée pour ses abondans produits : on la nomme blé du Mesnil. Grâce à ces bons exemples, les variétés de froment les plus productives se propagent en France. Nous devons reconnaître cependant que parfois, dans des circonstances assez exceptionnelles il est vrai, ces variétés exposent à des mécomptes; cette année même, là où la rigueur de la température hibernale n’était pas modérée par le voisinage de la mer, quelques blés d’origine anglaise ont été fortement atteints par les gelées, tandis qu’ailleurs leur supériorité s’est maintenue, et qu’en somme nous n’avons pas eu de ce côté d’amoindrissement de la récolte.<ref>.