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notions que j’avais déjà recueillies, m’indiquer en outre quelques détails réglementaires; mais, lorsque je lui demandai s’il parvenait facilement à faire exécuter toutes les mesures prescrites, il me répondit à peu près ce qu’on va lire : — Je puis vous assurer qu’en cette circonstance comme en beaucoup d’autres occasions ma tâche n’est pas très difficile, car la population est peu exigeante; elle préfère même généralement que l’administration ne se mêle pas du tout de ses affaires. — Il ajouta, et je reproduis fidèlement ses paroles : « Voyez-vous, monsieur, les Anglais veulent s’amuser et s’ennuyer, boire et manger, être bien portans ou malades, mourir et se faire enterrer comme cela leur fait plaisir, sans que le gouvernement s’en mêle; aussi les laissons-nous faire, et nous simplifions ainsi notre besogne tout en leur étant agréables. »

Lu autre exemple montrera combien ces pittoresques assertions étaient fondées. Un jeune et habile chimiste, formé dans les laboratoires de Paris, s’était fixé depuis quelques années à Manchester, où il s’était fait d’abord connaître par des débuts heureux dans un cours public, et plus tard par des travaux de chimie appliquée au blanchiment, à la teinture et à la métallurgie. Ses procédés jouent un rôle important aujourd’hui chez plusieurs grands manufacturiers de France et d’Angleterre; on en peut voir les résultats en ce moment même parmi les innovations remarquables qui fixent les regards à l’exposition universelle. Je lui fis connaître le but principal de la mission que j’allais accomplir dans les trois royaumes, et lui demandai s’il pourrait me donner quelques renseignemens positifs sur les subsistances et la panification. Il s’empressa de me communiquer ses nombreuses analyses de farines et de pains inscrites dans un registre spécial : un examen attentif des intéressans résultats qu’il avait obtenus me démontra bientôt qu’une grande partie des farines importées par Liverpool en 1847 et 1848 étaient plus ou moins altérées par des mélanges de maïs, de riz ou de féverolles, que le pain à Manchester participait de ces altérations et contenait en outre presque toujours de l’alun, sel à saveur styptique, parfois aussi de l’eau en proportions exagérées. Il me sembla que le jeune professeur avait rendu à la population de Manchester un important service en étudiant l’un de ses plus chers intérêts. Cependant son travail fut interrompu dans le cours de l’année même, avant qu’aucune amélioration eût été constatée par de nouvelles analyses. Surpris de ce fait, j’en voulus avoir l’explication, et l’auteur de ces expériences s’empressa de me la donner lui-même. — Ma première pensée en arrivant à Manchester, me dit-il, avait été de payer ma bienvenue et de mériter la bienveillance que l’on m’avait déjà témoignée. Dans cette pensée, non-seulement j’examinai diverses substances alimentaires par les moyens