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quand on saura que sous ces cabanes couvertes de chaume il y a souvent de neuf à douze enfans. Les femmes font en outre tous les habillemens, même ceux des hommes ; elles s’occupent de la culture des terres, elles filent le chanvre nécessaire pour les agrès, elles blanchissent le linge. Dans ces soins pénibles et compliqués, les ménagères ne sont assistées d’aucune servante ; elles font tout par leurs mains. Les mœurs des hommes se distinguent par une grande sobriété. les habitans de l’île doivent à ces habitudes sévères un état de prospérité relative, si on les compare aux pécheurs des autres localités. Bien qu’ils aient à lutter contre mille causes de paupérisme, telles que les étés mauvais, les hivers précoces, ils ne descendent point à implorer l’assistance publique. Cette tempérance est en outre une raison de longévité ; on rencontre dans l’île beaucoup de vieillards. À la vue de ces figures calmes comme la mer par un beau soir d’été, on se prend à aimer cette médiocrité honorable, ces pauvres gens riches des biens qu’ils ignorent, cette famille de pêcheurs dont les liens se resserrent par la conformité des travaux, des inclinations et des dangers.

Les femmes ne quittent presque point leur île ; les hommes, au contraire, respirent le souffle et la vie de la mer. Les pêcheurs de plies montent chaque dimanche vers minuit dans leur bâtiment ; ils passent la semaine sur le golfe, et ne rentrent chez eux que le samedi. Le seul jour qu’ils passent à terre est employé à réparer les filets, les voiles et les cordages. De graves dangers menacent ces voyageurs infatigables. La lame du Zuiderzée est plus courte et moins tumultueuse que celle de l’Océan, mais elle est perfide. Leur sang-froid au milieu des dangers et des tempêtes égale leur humanité. Toujours prêts à porter du secours aux vaisseaux qui sont en péril, ils ont donné mille preuves de courage et de présence d’esprit. Nous avons suivi les pêcheurs du Zuiderzée dans une de leurs excursions nocturnes. Le bâtiment sur lequel nous faisions voile était monté par trois hommes. Sur le devant était une petite chambre avec un parquet peint en bleu et luisant, une cheminée en bois, un lit, une armoire et des sièges, le tout bariolé de couleurs vives. Cette chambre prenait jour sur le toit par quatre ou cinq ouvertures carrées, fermées de couvercles de bois qu’on leva, et à travers lesquelles nous vîmes luire les étoiles. Dans la partie découverte étaient les filets, les perches, les crochets, une ou deux ancres à plusieurs dents et de gros sabots peints en vert. Un des trois hommes tenait le gouvernail et observait la voile, les deux autres promenaient les filets dans la mer. La pêche fut assez bonne. Le poisson pris était jeté au milieu de la barque, dans un réservoir plein d’eau salée. Nous regagnâmes la terre avant le jour. On abaissa la voile, on mit en ordre