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quatre-vingt-dix flibots ont rapporté néanmoins 11,729,000 harengs[1]. En présence de ces chiffres, on s’étonne de la misère des pêcheurs de la côte : cette misère, qui contraste avec les résultats économiques de leur travail, est cependant trop réelle. Sur cent pêcheurs, il y en a quatre-vingt-dix-huit qui sont pauvres. L’hiver, on leur distribue du pain et de la soupe ; autrement, nous disait un officier civil de l’endroit, ils mourraient de faim. On compte à Scheveningen 3,530 personnes qui reçoivent de la communauté calviniste des secours à domicile. Ce malaise navrant a des causes qu’il importe de signaler. D’abord le salaire des pêcheurs est faible ; ils gagnent au plus 4 ou 5 florins par semaine. Un tel résultat n’est point en rapport avec les fatigues du métier ; il fait une triste exception à la loi qui veut que les professions industrielles où il y a pour l’homme risque de la vie soient rétribuées en conséquence. La pêche est d’ailleurs soumise à des chômages. Au mois de décembre et de janvier, les pêcheurs ne veulent point jeter leurs filets dans la mer ; les tempêtes sont alors, disent-ils, plus fréquentes que dans les autres mois de l’année. Il est extrêmement désirable (et c’est peut-être le meilleur remède au paupérisme) que les populations de la côte ne se reposent point uniquement sur la pêche. Déjà quelques matelots de Scheveningen font des voyages d’hiver pour porter divers objets de consommation en France, en Belgique et à Londres[2] ; d’autres défrichent un peu dans les dunes. Cette culture des dunes constitue un des traits caractéristiques de la côte. Quand on a résolu de convertir une certaine étendue de sable en terre labourable, on y mène paître la première année des animaux domestiques, le plus souvent des moutons. Ce n’est encore qu’un pacage ; mais les années suivantes on y introduit la bêche et l’on égalise le sol. L’ennemi de cette culture naissante est le vent ; on lui oppose des digues et quelquefois des plantations d’arbustes ; le champ embryonnaire est fumé ensuite avec les engrais qu’on a sous la main, le plus souvent avec du poisson. Ceci fait, on y plante des pommes de terre, qui viennent bien, ou d’autres légumes. À voir ces champs conquis sur la dune sauvage, véritables chefs-d’œuvre de création humaine, on éprouve

  1. La préparation diffère de celle qu’on pratique à Vlaardingen et à Maasluis. On n’entasse pas ces harengs-là comme ceux de la grande pêche dans des tonneaux, mais on les amasse à fond de cale, et l’on y jette du sel (steur), se réservant de les saurer plus tard. Le principal débouché du steur-haring est dans la Belgique, où il prend alors le nom de diepwatersche bokking (hareng d’eau profonde et qui a été fumé). Les pêcheurs de Scheveningen peuvent maintenant caquer le hareng, mais ils usent très peu jusqu’ici de cette liberté.
  2. Il existe pour les jeunes filles une maison de couture, fondée par la reine-mère de Hollande ; on y fait des chemises et d’autres ouvrages pour les pauvres de la commune. Cet établissement ne fonctionne que pendant l’hiver.