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journée. Dans les gros temps, on ferme toutes les ouvertures, et le vaisseau ballotté se maintient comme il peut sur les précipices de l’Océan[1]. On compte six ou huit flibots perdus en vingt-six années. Pendant les jours de tempête, les femmes courent sur la dune ; elles regardent en silence, le visage morne, le cœur glacé, cette masse d’eau furieuse qui tient leur frère, leur mari, et qui peut les engloutir[2]. Les armateurs sont assurés, du moins en partie, pour les risques de mer ; les pêcheurs ne le sont pas. Leur seul espoir est dans la bienfaisance publique. Il existe bien à Scheveningen un hospice pour les orphelins ; mais les ressources de cet hospice sont insuffisantes pour donner asile à toutes les infortunes que crée la mer. Il faut voir, le lendemain d’une catastrophe maritime, les pauvres habitans de Scheveningen pour avoir une idée des douleurs de la vie des côtes.

La pêche du poisson frais cède la place vers la fin de l’été à la pêche du steur-haring, qui commence à la mi-septembre et qui se termine vers le mois de décembre. Pour cette seconde pêche, le ravitaillement ainsi que tous les autres frais, soit de cordages, soit de filets, sont supportés par l’armateur, qui reçoit la totalité du butin. En retour, il donne à chaque matelot, pour chaque centaine de florins gagnés, 2 florins et 80 cents ; le capitaine ou patron touche une fois et demie la même somme. Chaque flibot est monté par huit hommes, qui, lorsqu’ils reviennent de la pêche du hareng, reçoivent en outre de l’armateur un pour-boire de 12 à 20 florins[3]. Les résultats matériels de cette pêche, pour ce qui regarde le seul village de Scheveningen, sont considérables. En 1853, les pêcheurs ont rapporté 18,194,600 harengs, qui ont donné « fie somme de 218,915 florins 45 cents. En 1854, quatre-vingt-dix flibots ont été absens durant trois mois ; cinq ont fait quatre voyages sur les côtes de l’Angleterre, vingt-huit ont fait trois voyages, cinquante-deux ont fait deux voyages, et sept autres un voyage. La pêche n’a point été si abondante qu’en 1853 : ces

  1. La côte de Scheveningen est d’un abord difficile. Les bâtimens sont construits en conséquence : ce sont des vaisseaux plats qui échouent sur le sable. Il est question, depuis quelques années, de bâtir un port qui donnerait une importance nouvelle à Scheveningen et à la ville de La Haye. Ce projet utile, mais qui entraînerait des dépenses considérables, est ajourné comme tant d’autres à des temps meilleurs.
  2. Il y a quelques mois, Scheveningen eut un naufrage à déplorer. Un bâtiment de pêche, parti depuis une semaine, n’était pas revenu ; les pressentimens les plus sombres attristaient les visages. Bientôt la nouvelle arriva d’Angleterre qu’un pêcheur anglais avait pris, remorqué et conduit à Lowstoff la carcasse de la jonque Cornelia, dans laquelle se trouvaient les cadavres de quatre marins hollandais. On ne disait rien de trois autres hommes, qui, selon toute vraisemblance, avaient été renversés par-dessus le bord. Presque tous les pécheurs avaient une femme, une famille ; l’un d’eux laissa neuf orphelins.
  3. Pour la pêche du hareng, chaque matelot reçoit en tout de 80 à 100 florins.