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des scènes d’amour conjugal qui intéressent. Je me souviens d’un jour où la mer n’était point irritée, mais chagrine : un groupe de femmes se tenaient sur les dunes et échangeaient des signaux avec les hommes d’une douzaine de bâtimens qui allaient partir. Du groupe, parmi lequel il y avait des enfans, se détacha une jeune femme qui tenait une orange dans sa main. Elle jeta quelques paroles que contrariait fort dans le moment le bruit du vent et des vagues ; pourtant la voix de l’amour fut plus forte que la voix de la mer, car de l’un des bâtimens appareillés s’élança un pêcheur qui marcha dans les eaux jusqu’à la ceinture, et vint recevoir des mains de la femme ce gage de tendresse naïve. Un moment après, les ancres se levaient, la petite flottille se dispersait sur la mer ; le groupe de femmes continua de demeurer sur la dune, échangeant un dernier adieu avec les hommes des bâtimens qui s’éloignaient ; puis elles rentrèrent en silence dans le village.

La pêche des côtes se divise en deux branches distinctes : 1o  la pêche du poisson frais ; 2o  la pêche du hareng qu’on fume, steur-haring[1]. C’est la pêche du poisson frais qui doit la première appeler notre attention. Scheveningen peut mettre en mer 112 flibots ordinaires et 8 petits. Un flibot ordinaire coûte de 5, 500 à 6, 000 florins : il est la propriété d’un armateur, qui lui-même se trouve souvent commandité par une main inconnue. Quand l’armateur veut équiper son bâtiment, il prend un patron, c’est-à-dire un ancien matelot plus capable et plus expérimenté que ses camarades ; ce patron cherche de son côté six hommes et un garçon. Tous les ans, les pêcheurs de Scheveningen ont à faire au bureau de police une déclaration qui consiste dans cette simple formule : « Je m’enrôle sur tel bâtiment et sous tel capitaine. » L’armateur donne chaque année aux hommes de son flibot pour la pêche du poisson frais un grand filet et demi, deux câbles et demi, et quelques cordages. Le reste du filet et du cordage est à la charge des pêcheurs. L’équipage doit aussi pourvoir à ses besoins de nourriture et de ravitaillement. Les frais de réparation du navire se partagent entre l’armateur et les matelots ; ce qui est au-dessus du klamp, c’est-à-dire la partie du bâtiment qui est hors de l’eau, incombe au compte de l’équipage ; la partie qui est dans l’eau regarde l’armateur. On donne de cette division de responsabilité un motif plus ou moins logique ; la moitié qui plonge s’use, l’autre moitié qui surnage se détériore souvent par négligence. Le voilage est supporté par l’armateur. Pour la pêche du poisson frais, les flibots ne font généralement que de courts voyages

  1. Ce mot steur-haring vient du mot anglais store, comme si l’on disait hareng de provision.