Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cabinet de Londres en fit le sujet d’une communication diplomatique à celui de Paris. Ce dernier, qui connaissait très bien les bases mensongères du rapport, voulut néanmoins qu’une enquête solennelle eût lieu pour que l’honneur de son agent reçût une éclatante réparation. Cette enquête mit au grand jour l’innocence de M. Rousseau et l’infamie ou l’aveuglement passionné de ses accusateurs. Le pacha de Tripoli s’étant imprudemment mis du nombre, le gouvernement français résolut d’arracher à ce barbare une satisfaction exemplaire. Le 9 août 1830, par conséquent un mois après la prise d’Alger, qui avait répandu l’effroi dans tout le nord de l’Afrique, une division de notre armée navale, commandée par M. le contre-amiral Rosamel, arriva devant Tripoli. Cet officier-général avait mission non de négocier, mais d’imposer par la force : 1o  la rétractation de l’accusation calomnieuse portée contre M. Rousseau et d’humbles excuses contenues dans une lettre du pacha au roi, excuses qu’un fils ou gendre de ce prince renouvellerait de vive voix à notre consul-général à son retour à Tripoli ; 2o  une contribution de guerre et l’acquittement de quelques créances françaises depuis longtemps en souffrance ; 3o  l’abolition définitive de l’esclavage des chrétiens et de la course ; 4o  celle des monopoles commerciaux ; 5o  celle des tributs encore payés par certaines puissances et la renonciation aux présens appelés donatives qu’il était d’usage de faire aux changemens de consuls et au renouvellement des traités. Ces conditions furent acceptées avec terreur et résignation. Un traité rédigé dans ce sens fut signé le 11 août 1830, et la contribution fixée à 800,000 francs, sur quoi la France dut désintéresser ses nationaux créanciers du pacha. Du reste elle ne se réserva aucun avantage commercial exclusif ; il fut seulement réglé qu’elle serait toujours traitée sur le pied de la nation la plus favorisée. On stipula également que la contribution serait payée en deux fois, une moitié comptant et une moitié au 20 décembre de l’année courante[1].

Cette rude leçon coïncidait avec un affaiblissement de l’autorité souveraine à Tripoli qui rendait inévitable une révolution. En effet Yousef-Pacha touchait à la fin de son long règne, et sa dynastie était elle-même à la veille de sa chute. Ce petit prince avait pris depuis longtemps des habitudes de prodigalité, et depuis quelques années surtout, l’âge et les excès de boisson l’ayant beaucoup affaibli, le gaspillage avait atteint dans son intérieur des proportions effrayantes. Pour faire face à ses dépenses personnelles, à celles de son

  1. Le paiement de cette seconde moitié ne se fit pas sans difficulté. Il fallut l’arracher en quelque sorte sou par sou, comme on dit vulgairement. Encore restait-il à la fin de 1831 un reliquat de 140,000 francs pour le solde duquel Yousef-Pacha dut faire l’abandon du revenu de Bengazi.