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peu d’exemples d’un monument funèbre aussi bien mérité. L’Évangile raconte qu’un des disciples du Christ, trouva dans la bouche d’un poisson une pièce de monnaie pour payer le tribut : c’est l’histoire de la Hollande ; elle a trouvé dans la bouche du hareng le moyen de payer ses énormes impôts, de subvenir à l’entretien d’un pays que ruinait la mer, et d’alimenter la source de la richesse publique.

Une autre circonstance vint compléter la découverte de Beukelszoon. — À Hoorn, en 1416, se fit le premier grand filet pour la pêche du hareng. Il faut avoir vu à Vlaardingen décharger sur des voitures ces immenses filets, il faut songer aux myriades de harengs qui s’y sont engloutis depuis plus de quatre siècles, il faut réfléchir aux conséquences historiques d’une telle invention pour comprendre ce qu’ont à la fois d’utile et de poétique ces éperviers des mers. Avec les progrès dans l’art de prendre et de conserver le hareng, cette pêche s’étendit, puis se déplaça. Vers le commencement du XVe siècle, elle s’établit à Enkhuisen et à Hoorn. Les guéries avec l’Espagne et ensuite avec la France étant survenues, les Zélandais trouvèrent plus d’avantages à armer leurs vaisseaux et à écumer la mer. Le hareng avait d’ailleurs changé de parages : il avait quitté les côtes de la Norvège, de la Suède et du Danemark, où il se péchait alors, pour celles de l’Ecosse, où il se trouve encore aujourd’hui. Cette inconstance dans la marche du poisson n’est pas un fait particulier : on cite d’autres mers dans lesquelles le hareng a paru, disparu, reparu, et cela à des intervalles de temps considérables. Les calculs scientifiques n’ont pu déterminer jusqu’ici la loi de ces mouvemens. Quoi qu’il en soit, la pêche du hareng passa alors presque tout entière dans les deux provinces de Nord-Hollande et de Sud-Hollande, où elle se maintint longtemps à un degré de prospérité singulière. Tout porte à croire, il est vrai, que les résultats de cette industrie maritime ont été un peu exagérés. Si l’on acceptait sans critique les chiffres donnés par quelques historiens sur l’importance de cette pêche et sur le nombre des haringbuizen, il faudrait en conclure que toute la population mâle des sept provinces unies était occupée à prendre, à encaquer ou à vendre le hareng. Tout en retranchant de ces statistiques l’excès ou l’invention, on est forcé de reconnaître que cette branche de commerce était extrêmement féconde. Un écrivain plus ou moins digne de foi fait monter à près de vingt mille le nombre des personnes qui tiraient leur subsistance de la pêche du hareng. Plus d’une fois la Grande-Bretagne s’émut de voiries bateaux hollandais ramasser sur ses côtes toute cette manne de la mer[1]. On regardait alors la pêche du hareng, ou la grande

  1. Dans des temps plus reculés, des familles royales et princières s’allièrent pour s’assurer le droit de pêche. Édouard Ier, roi d’Angleterre, avait donné sa fille Elisabeth à Jean Ier, vingtième comte de Hollande. Il résulta de ce mariage des lettres patentes qui autorisaient les pêcheurs hollandais, zélandais et frisons à jeter leurs filets près de Jernemuth, dans la mer de sa majesté britannique, in mari nostro. Il est probable que ce droit de pêche était le présent de noces apporté par la fille du roi d’Angleterre au comte de Hollande.