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des ménages de pêcheurs. Ces habitations, dont la propreté fait toute la richesse, ont un aspect simple et modeste, mais non pas triste. À Vlaardingen, on ne rencontre dans les rues pendant l’été que des femmes et des enfans : les hommes sont à la mer. Ces femmes font sécher sur le devant de leur maison le linge qu’elles viennent de blanchir, ou bien elles travaillent aux filets. Sur une population de sept à huit mille habitans, on compte deux mille pêcheurs : le reste pratique plus ou moins des industries relatives à la navigation. Il y a cinq chantiers dans lesquels on construit des flibots. Une trentaine de navires marchands, qui font le commerce avec la Méditerranée, mouillent plusieurs fois par an dans le port. Quelques-uns d’entre eux apportent le sel d’Espagne et de Portugal avec lequel on prépare le hareng. À la porte de quelques armateurs figure en guise d’écusson un petit bâtiment peint et sculpté avec ses voiles. Ainsi tout dans la physionomie de la ville, dans les habitudes, dans les signes extérieurs, rappelle la vie de mer.

C’est à Vlaardingen qu’il faudrait écrire l’histoire de la pêche du hareng, au milieu de ces filets qui ont pesé dans les destinées du monde, de ces buizen qui ont provoqué pendant longtemps la jalousie de l’Angleterre, de ces pauvres familles par lesquelles s’est élevée en grande partie la fortune des Pays-Bas[1]. La Belgique paraît avoir été le berceau de cette pèche ; mais, vers le milieu du XIIe siècle, elle passa des Flandres dans la Zélande. Quoique abondante, jamais la pêche de ce poisson frais n’eût constitué une branche importante du commerce national sans la découverte que fit vers 1380 Guillaume Beukelszoon. Ce fut lui qui inventa l’art de préparer et de conserver le hareng dans le sel. On ne sait rien de sa vie, sinon qu’il naquit à Biervliet, petit village de la Zélande. Il est cependant peu de découvertes qui aient produit tant de richesses en ne demandant aucun sacrifice à l’humanité. Ces petites causes, dédaignées par l’histoire, n’échappent point à ceux qui mettent au niveau des événemens politiques les révolutions accomplies dans l’alimentation et dans le bien-être des peuples modernes. Aux yeux de l’économiste, il n’y a point de vils produits. Charles-Quint, lui, sachant ce que la Hollande devait au hareng caqué, voulut perpétuer le souvenir d’un si grand service rendu à la patrie. Se trouvant en 1556 à Biervliet, il fit ériger un tombeau à Beukelszoon, qui était mort en 1397. Il y a

  1. Les armemens pour la pêche du hareng ne sont point limités au port de Vlaardingen. De Maasluis, de Zwartewaal, de Delfshaven, d’Enkhuisen, d’Amsterdam, de Ripp, de Middelhornis, de Wormerveer, partent des buizen ; mais en 1853, sur 93 navires dont se composait la flottille pour la grande pêche, 60 appartenaient à la ville de Vlaardingen. On peut donc considérer cette dernière place comme le centre de la fabrication du hareng caqué.