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vive opposition, et M. Fox attaqua cette innovation comme dangereuse, et cette magistrature comme incompatible avec la liberté du citoyen. Toutes les mesures qui ont progressivement complété le système actuel ont soulevé une vive résistance; à ce prix, l’ordre semblait coûter trop cher à la liberté, il y avait sans doute de l’exagération dans cette susceptibilité ombrageuse. C’était une faiblesse, si l’on veut, — faiblesse de peuple libre! Aujourd’hui, pour atteindre à quelques perfectionnemens problématiques dans la composition des bureaux, certaines personnes feraient bon marché de l’influence de la représentation nationale, et l’on incrimine l’existence des partis, attendu qu’ils peuvent protéger de mauvais commis. On veut voir dans la chambre élective non plus un contrôle, mais un instrument de corruption. En ministère plus à l’aise ferait mieux et obéirait plus fidèlement à la dictée de l’intérêt public. Les précautions restrictives qu’on a prises autrefois contre le pouvoir sont surannées et s’appliquent à des abus qui ne peuvent renaître. Autres maux, autres remèdes. C’étaient les aimes des partis, il faut les briser. Grâce à Dieu, le gouvernement des partis est en déclin.

C’est là un singulier langage, et s’il pénètre jusque dans son tombeau, George III, tout mort qu’il est, doit en tressaillir de joie. C’est dans le palais de Leicester-House, où sa jeunesse fut élevée, c’est dans le salon de sa mère, entre l’évêque de Norwich et lord Bute, qu’il apprit à penser que depuis 1688 on n’avait travaillé qu’à retenir le pouvoir royal aux mains des grandes associations politiques et à confisquer le sceptre au profit des partis. C’était avant lui le traître Bolingbroke qui, trop bien connu des chefs populaires des deux chambres, avait imaginé, pour se faire des amis en cour, cette fiction d’un roi indépendant des partis, et par cela même décoré du nom de roi patriote. Le travail personnel de George III dans tout son règne ne tendit qu’à regagner un peu de l’arbitraire que ses prédécesseurs avaient imprudemment aliéné. Singulier retour des opinions humaines! On dirige au nom de l’intérêt public contre les institutions les mêmes critiques que leur adressait jadis la coterie des amis du roi.

Burke, avant les plus habiles écrivains de notre époque et aussi bien apparemment que les plus habiles, a connu et décrit cet esprit étroit et routinier qui domine quelquefois dans les bureaux. Lisez le portrait éminent qu’il a tracé de George Grenville; il semble avoir dépeint dans ses plus grandes proportions l’idéal du red tapeism, l’homme d’état bureaucratique[1]. Et ce même Burke ne voyait d’obstacle efficace soit à la prépondérance de la cour, soit à celle de l’esprit administratif, que le parlement, que la résistance des partis,

  1. Voyez Edmund Burke, premier article, dans la Revue du 15 janvier 1853.