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question de parti. L’émotion publique, cherchant où se prendre, s’est portée un peu au hasard sur les objets les plus divers, et les documens calmes et inoffensifs, préparés par des commissions qui n’avaient nullement prévu le siège de Sébastopol, sont devenus pièces au procès dans l’enquête ouverte sur l’état de l’armée assiégeante et sur les effets de la guerre. Le ministère renversé par la guerre se trouva celui qui avait pris le plus franchement l’initiative de la réforme, et il put, sans inconséquence et même par calcul, continuer à la soutenir, puisqu’elle tendait à l’absoudre en condamnant des choses qui n’étaient pas son ouvrage. Pour ceux qui cherchaient des thèmes d’opposition, c’était une bonne fortune que la publication de pièces émanées de l’administration, qui la présentaient en quelque sorte divisée contre elle-même, et donnaient à ses censeurs des auxiliaires dans son propre sein. Ce ne fut pas une moins bonne fortune que l’intervention subite dans le débat d’un écrivain éclairé et impartial qui prît assez vivement parti, sans esprit d’opposition, pour des idées d’opposition. M. Greg, que nous avons essayé de faire connaître aux lecteurs de la Revue[1], suit, avec une attention prompte à se changer en inquiétude, le cours des idées qui se succèdent dans son pays. Fidèlement attaché aux institutions fondamentales, il professe cette maxime, que pour conserver il faut innover, et va jusqu’à dire que les exigences irréfléchies de la démocratie ne peuvent être prévenues que par des changemens hardiment faits, dussent-ils porter sur quelques parties regardées comme essentielles du gouvernement parlementaire. Vivement frappé de l’état des affaires, un peu alarmé du conflit des plaintes et des systèmes, il écrivit avec toute la chaleur du patriotisme et du talent un pamphlet qui, pour la forme, est propre à donner une haute idée de l’écrivain; la Seule Chose nécessaire (the One Thing needful), tel en est le titre. — Notre cause était bonne, dit M. Greg; nous avions une belle armée, tout le monde a rempli son devoir, personne n’eût fait mieux, et l’on a échoué! C’est que les ministres étaient servis par un mécanisme dont les neuf dixièmes ne dépendaient pas d’eux. S’agit-il du militaire? Que pouvaient-ils sur le commissariat, sur l’état-major médical, sur le département du quartier-maître général? Les officiers, ils les trouvaient tout faits. Et comment? J’ai un second fils étourdi qui n’est pas méchant, mais qui n’est bon à rien. Je sollicite une commission, je la paie et je l’obtiens. Si je suis en faveur, je l’obtiens plus vite. Pour devenir officier-général, que faut-il? vieillir. Passons au civil. Mon troisième fils est sans intelligence, mais il est tranquille; un négociant n’en voudrait pas pour commis. Un de mes amis est en crédit;

  1. N° du 15 janvier 1855.