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Derna sur un bâtiment marchand français, et se rendit de là en Égypte auprès de Mourad-Bey[1]. Si bizarres qu’ils paraissent, de tels épisodes ne sont pas rares dans l’histoire des petits états d’Orient.

Ahmed jouit peu de la souveraine puissance, car il fut bientôt chassé par son frère Yousef, dont le long règne devait commencer et finir dans les orages. Lorsque l’expédition d’Égypte eut rompu la paix qui avait toujours existé entre la France et la Turquie, la Porte entraîna contre nous les régences d’Alger et de Tunis; mais le pacha de Tripoli, Yousef, resta d’abord, autant qu’il le put, attaché à nos intérêts, favorisant en tout ce qui dépendait de lui l’approvisionnement de Malte et la correspondance que le général Bonaparte n’avait pas tardé à nouer avec notre consul[2]. Lorsque le général Vaubois, qui commandait à Malte, se vit assiégé par terre et bloqué par mer, il demanda avec instance des vivres à Tripoli. Il y envoya à cet effet un agent actif, qui parvint, malgré le blocus, à lui faire passer quelques navires chargés de bœufs achetés dans la Tripolitaine. Pour nous priver de cette ressource, les Anglais sommèrent Yousef-Pacha d’expulser tous les Français de ses états. Yousef s’y étant refusé, la violence trancha la question. Le commodore anglais Campbell, expédié par l’amiral Nelson avec un vaisseau portugais, vint forcer le pacha, après l’incendie d’un de ses bâtimens et la prise de deux autres, de lui livrer M. Beaussier, notre consul, et tous les Français résidant à Tripoli. On ne les fit pas prisonniers, mais on les conduisit à Gênes, d’où ils purent gagner Marseille.

Lorsque le général Bonaparte, devenu premier consul, se trouva à la tête du gouvernement de la France, il s’occupa naturellement de l’armée qu’il avait laissée en Égypte. Parmi les moyens qui se présentèrent à son esprit pour se mettre en communication avec elle, il songea tout d’abord à Tripoli. Yousef-Pacha avait dû subir la violence des Anglais et déclarer ostensiblement la guerre à la république; mais on savait que son inclination le portait toujours à favoriser nos intérêts, et que même il avait enjoint à ses corsaires

  1. Il fut, en 1803, nommé pacha d’Égypte par la Porte et massacré par les mamelucks.
  2. Cette correspondance eut lieu de plusieurs manières. Le premier paquet arriva par terre et par une caravane de pèlerins de La Mecque, qui se louaient hautement de la manière généreuse dont ils avaient été traités par les Français en Égypte. On vit ensuite arriver une petite tartane, puis un brick. Celui-ci avait à bord un négociant français d’Alexandrie, appelé Arnaud, très versé dans la langue arabe, que le général Bonaparte avait chargé de lui apporter à tout prix des nouvelles de l’Europe. Notre consul, qui était alors M. Beaussier, lui ayant donné toutes celles qu’on put recueillir et le brick n’ayant pas cru pouvoir retourner en Égypte à cause des croisières anglaises, M. Arnaud repartit par terre et périt tragiquement en route, victime de son patriotisme et de son dévouement.