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et cruel, des embûches de toutes sortes, un pays stérile, un climat changeant, des lieux insalubres, des saisons meurtrières, toutes les souffrances, toutes les privations, toutes les difficultés ont aguerri les corps et les âmes, et forcé toutes les intelligences à chercher par méthode ou par instinct tous les moyens de conserver la force, la santé, l’entrain, les vivres, les armes. Il n’y a point d’école supérieure à la guerre d’Afrique pour former les hommes aux vertus et aux talens individuels du soldat; il n’y en a point qui ait plus appris aux chefs et aux administrateurs le devoir et l’art de veiller au physique et au moral des hommes et de leur rendre supportable le cruel labeur au prix duquel la gloire s’achète. Faut-il s’étonner qu’il nous reste quelque chose de tout cela, et que notre armée d’Orient nous ait l’ait à chaque instant souvenir de notre année d’Afrique? Or ce sont là des circonstances qu’on ne peut emprunter ni reproduire, c’est un passé qu’on ne peut s’approprier; il n’y a point d’invention administrative qui puisse remplacer cela; une réforme organique n’y peut rien. Que la guerre se prolonge, et elle donnera aux troupes anglaises ce qui peut leur manquer, ou plutôt elle le leur a déjà donné, et je suis sûr que les plaintes, fondées peut-être à la fin de 1854, ne le sont déjà plus à la fin de 1855.

Tout ceci est dit, non pour repousser une réforme, mais pour en déterminer l’utilité et la portée et faire tomber toutes ces bruyantes exagérations qui, par la voie des espérances chimériques, pourraient conduire à d’imprudentes innovations. Nous pouvons maintenant aborder de sang-froid les questions sur lesquelles on s’efforce, jusqu’à présent, il est vrai, avec un succès médiocre, d’échauffer l’opinion.


IV.

La première est l’organisation de l’armée. Les plaintes sont générales. Cependant on ne propose pas de changer le mode de recrutement, et, suivant toute apparence, on n’y peut pas songer. Du mode établi découlent cependant plusieurs des inconvéniens qu’on dénonce. L’armée est recrutée par engagement volontaire et même par une sorte de racolement. Il n’est ni dans les idées, ni dans les mœurs, ni dans les nécessités du pays de recourir au recrutement forcé. Or le recrutement forcé, entre autres avantages, en a deux principaux. D’abord il donne des armées plus constamment jeunes, et dans leurs rangs tous les états, tous les métiers sont représentés; c’est une ressource précieuse pour toutes les industries de la guerre. Citons un détail qui n’est pas méprisable : les soldats anglais vieil- lissent dans leur profession, il ne serait pas juste de les empêcher