se battre seulement: c’est faire tous les métiers à la fois et les faire m hâte, au milieu de la confusion, du dénuement et du péril. C’est, pour un soldat, remplacer au besoin le terrassier, le bûcheron, le maçon, le charpentier, le menuisier, le tailleur, le blanchisseur, le boucher, le cuisinier, le boulanger, sans avoir toujours les instrumens et les matériaux de toutes ces professions; c’est vivre de privations et d’expédiens. Laquelle des deux races est plus propre à ce genre d’industrie? Nous croyons le savoir, et nous rappellerons aux Anglais quelques circonstances particulières à notre pays, et qu’ils ne peuvent toutes nous envier. Toujours la France a dû se préoccuper des guerres d’invasion, c’est-à-dire qu’elle a été à toutes les époques exposée aux plus grandes opérations militaires que le temps comportât. L’année de Corbie, comme à l’époque de la prise de Longwy, elle a dû penser au salut de son territoire et de sa capitale. La révolution et l’empire l’ont forcée à se mesurer avec tous les ennemis, tous les climats, toutes les souffrances, tous les périls. De là une immense expérience qui non-seulement a profité à notre monde militaire, mais qui s’est propagée dans les esprits et qui est entrée dans la tradition nationale. L’imagination du peuple est familiarisée dès l’enfance avec les choses de la guerre. Aussi la France n’a-t-elle pas de plus grande affaire que son aimée. La paix en diminue la force, mais non l’importance, et depuis vingt-cinq ans nous avons eu rarement moins de quatre cent mille hommes sous les armes. Comment donc ne pas s’en occuper sans cesse? comment ne pas donner à cette force brute et ruineuse, si elle n’est utile, tout ce que par l’organisation, la discipline, l’instruction, l’équipement, elle peut acquérir de disponibilité, d’énergie, d’utilité, d’intelligence? Il n’est pas vrai, — que les Anglais se gardent de le croire, la perfidie tenterait seule de le leur persuader, — non, il n’est pas vrai que le système constitutionnel soit un obstacle à la bonne tenue, à l’habile entretien, à l’éducation guerrière d’une grande armée. Toutes nos institutions militaires, pénétrées de l’esprit de la révolution française, se sont développées, perfectionnées, fixées sous ce gouvernement. Jamais chez nous l’intérêt de l’armée n’a été pris plus à cœur que depuis trente ans, et l’on ne persuadera qu’à des sots ou à des valets que la liberté politique n’attise point le foyer du patriotisme et de l’honneur. J’ajouterai, car je suis décidé à tout dire, que le caractère et la politique des princes de la maison d’Orléans les portaient à s’occuper de l’armée avec une sollicitude ardente et à vivre de la même vie qu’elle. Enfin comment oublier que, militairement parlant, nous n’avons pas eu la paix, nous, depuis 1830? Nous avons eu en Algérie vingt ans de guerre au moins, parfois jusqu’à cent mille combattans. Et quelle guerre! la guerre dans le désert, un ennemi insaisissable
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