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dans un calme si profond les périodes de troubles et d’angoisses infligées aux monarchies du continent, et elle s’est montrée avec elles si fière de ses institutions, de son repos, de sa fortune, elle a si peu caché sa confiance en elle-même et dans ses destinées, qu’au premier revers tous ceux qu’elle a humiliés devaient relever la tête et jouir d’un noble plaisir, celui de proclamer sa déchéance. Mais ce qui est plus singulier, c’est qu’elle-même, ou peu s’en faut, a eu l’air d’y croire.

Avec quel soin, avec quelle verve, la presse de Londres a recueilli, décrit, célébré les maux de l’armée anglaise, chacun s’en souvient. Comme elle a pris à cœur d’en étaler toutes les conséquences, toutes les misères, d’en faire rejaillir le contre-coup sur la force et même sur les institutions du pays, on ne l’a pas oublié. Elle recevait un rude démenti; elle avait, au début de la guerre, montré une présomption sans limite. Elle n’avait préparé l’opinion à aucune des difficultés, à aucun des mécomptes que toute guerre, même heureuse, amène avec elle. Elle l’avait comme à plaisir nourrie des illusions de l’orgueil et du patriotisme. L’opinion publique, qu’elle avait exaltée, tombait de son haut pour ainsi dire. Les Anglais sont fiers, mais sincères, et connaissent peu certaines finasseries de la vanité. Ils se montraient naïvement désolés et humiliés : désolés, car, préoccupés plus qu’aucun peuple des questions de bien-être et de comfort, ils ressentaient au fond de l’âme les souffrances de leurs soldats, et faisaient comme la découverte des maux de la guerre; humiliés, car ils avaient conçu et manifesté de tout autres espérances, et ils reconnaissaient avec douleur qu’ils ne faisaient pas tout mieux que personne. Ce double sentiment s’est produit sans détour. Loin de rien atténuer, on a tout avoué, tout déploré, tout mis au pire, et l’on ne s’est point inquiété de donner ainsi des armes à la compassion affectée et à l’envieuse joie de tous les ennemis de la perfide Albion.

Telle est, dit-on, la faiblesse des peuples libres, telle est, selon moi, leur force. Ils ne cachent ni leurs illusions, ni leur orgueil, ni leurs passions. C’est par la dure expérience des choses qu’ils se forment et s’aguerrissent aux épreuves qu’ils doivent subir, aux difficultés qu’ils doivent vaincre, ils font en public et sous les yeux du monde leur rude apprentissage de la politique et de la guerre, et c’est parce qu’ils sentent tout vivement et avec excès qu’ils se montrent à la hauteur des efforts que les événemens réclament. « Un peuple libre ne comprend que lorsqu’il a senti, » disait le général Washington.

Mais ce n’est pas la mode de penser comme Washington. On a pris au mot la presse et la nation anglaise. On a cru à une redoutable crise. On est allé disant que l’Angleterre ne pouvant plus