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Si donc la statistique n’est pas une science, et si l’honneur de figurer parmi les arts est périlleux pour elle, comment la définir ? Cette définition est embarrassante. On comprend qu’un savant s’attache à observer attentivement les faits qui doivent confirmer ses découvertes ou le conduire à des découvertes nouvelles ; on comprend que l’homme d’état, que l’administrateur, que le négociant apportent le plus grand soin à étudier jour par jour et à exprimer en chiffres les résultats d’une loi, d’un règlement, d’une spéculation : les uns et les autres font de la statistique, et seuls ils peuvent, dans la sphère de leurs attributions, se livrer utilement à ce travail. Aussi bien nous faisons tous de la statistique, car tous nous avons à constater la régularité ou l’irrégularité, la permanence ou l’intermittence de certains faits, soit dans la vie publique, soit dans la vie privée ; mais un statisticien qui ne serait que statisticien, c’est-à-dire qui passerait son temps à remuer et à aligner des chiffres ! nous cherchons vainement la classification qui lui convient.

Loin de nous la pensée de contester les services que sont appelés à rendre les travaux statistiques : nous tenons uniquement à établir que ces travaux, au lieu de constituer, comme on l’a souvent prétendu, une science indépendante et spéciale, vivant et se développant par elle-même, dépendent directement au contraire de chacune des sciences au profit desquelles ils sont entrepris. De même qu’un astronome est seul en mesure de noter et de comparer les phénomènes qui marquent le cours des astres, de même le jurisconsulte nous paraît seul apte à rédiger la statistique judiciaire ; l’économiste, la statistique industrielle et commerciale, etc. Autrement, de l’ignorance des lois et des causes résulteraient les méprises les plus grossières dans la constatation des faits et des conséquences.

Ce que l’on doit rechercher surtout dans la statistique, c’est l’exactitude, Par malheur, cette qualité se rencontre rarement, même dans les travaux les plus estimables. Cela tient à diverses causes ; il faut s’en prendre à l’insuffisance des moyens d’information, à l’imperfection des méthodes, à l’extrême mobilité des faits qu’il s’agit de constater, et, pour une bonne part aussi, à l’aveugle manie qui pousse certains esprits, d’ailleurs distingués, à soumettre toutes choses au régime de la statistique. Quant à la statistique commune, qui a pour objet de placer en regard les faits analogues observés dans différens pays, les difficultés deviennent plus grandes encore, et les chances d’erreur se multiplient. Le relevé des faits n’a réellement d’utilité que s’il est établi suivant l’ordre et avec les divisions et catégories dont il convient de chercher le modèle dans la législation en vigueur ; or la législation varie selon les contrées, de telle sorte que pour faire rentrer dans un seul et même cadre les observations que par leur titre on suppose analogues, le statisticien se voit obligé de fausser trop souvent le caractère des faits. Ses tableaux contiennent des chiffres, beaucoup de chiffres, rien de plus. En outre, telle observation est praticable dans un pays et impraticable dans un autre. On peut, sur un territoire peu étendu, obtenir aisément des résultats qu’il serait absolument impossible d’atteindre sur un vaste territoire. Sans aller plus loin, que d’écueils pour la statistique comparée !

L’idée d’un congrès international remonte à l’exposition universelle de Londres. Ainsi que l’exposa M. Quelelet, président de la première session