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LE
MARQUIS DES SAFFRAS


SCÈNES DE LA VIE COMTADINE

I. — ESPERIT.


I.

En 184…, pour la Saint-Quinid, fête de leur paroisse, les paysans de Montalric, village du Comtat, donnèrent une grande représentation de la Mort de César. Depuis quelques années, on s’était mis ainsi à jouer des tragédies dans les villages comtadins. Pour les fêtes votives, on montait des pièces de Racine et de Voltaire. Zaïre, Athalie, Brutus et César, — César, Brulus, Athalie, Zaïre, — on ne sortait pas de là, à Monteou comme à Saint-Didier, à Sarrians comme à Méthamis et à Beaume-de-Venise. Entre toutes ces bourgades, c’était une lutte ardente, une émulation sans égale pour bien faire et se surpasser. Les vieilles jalousies de voisinage s’étaient transformées ; on était en rivalité de tragédies, et dans ces luttes pacifiques on apportait la même passion que dans ces rixes terribles où, vingt ans auparavant, des villages entiers venaient offrir la bataille à des villages ennemis.

Pour cette Mort de César, il y eut grande affluence d’étrangers à Montalric. La route était obstruée de carrioles et de charrettes ; les auberges regorgeaient de gens et de bêtes ; tous les tonneaux étaient en perce ; dans les rues, sur les places, à toutes les portes des