Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à cheval, ni figurer dans un quadrille sans exciter un étonnement douloureux. Avec un visage souriant, des yeux pleins de malice, ce serait vraiment dommage, et j’aime à croire que M. Madrazo a calomnié son modèle en lui attribuant de si vilains bras. A quoi tient pourtant cette odieuse calomnie? A l’ignorance de la perspective. Si M. Madrazo eût mesuré la distance de l’épaule au coude et du coude à la main, nous ne serions pas obligé de lui tenir un langage aussi sévère; mais comment accueillir avec indulgence un portrait dessiné d’une manière si étrange? Ce serait encourager, ce serait prêcher le mépris de toutes les lois de la peinture. Qu’un tel ouvrage se produise dans la patrie de Murillo et de Velasquez, c’est pour nous un légitime sujet d’étonnement. Et pourtant, si nous consultons nos souvenirs, nous trouvons chez nous le même engouement pour des œuvres de même valeur. Nous avons eu, nous avons encore des peintres à la mode chez qui les femmes jeunes et belles s’inscrivent un an d’avance pour obtenir leur tour, et qui n’en savent pas plus que M. Madrazo. La notion de la beauté semble s’obscurcir dans tous les grands centres de civilisation. A Paris comme à Madrid, les femmes admirées pour leur élégance et leur grâce prennent sous leur protection et réussissent à mettre en vogue des peintres sans savoir et sans études. Chose difficile à comprendre, et qu’il faut cependant accepter comme un fait avéré, elles tiennent moins au charme de leur visage qu’à l’éclat de leur toilette dès qu’il s’agit de se faire peindre. L’éclat humide du regard, la longueur des cils, la fraîcheur des lèvres, les touchent moins que l’imitation du velours, du satin et de la dentelle. On dirait qu’elles oublient le portrait de leur personne, et ne songent qu’au portrait de leur robe. Tout en qualifiant sévèrement l’injuste popularité de M. Madrazo, je suis obligé de reconnaître qu’il a trouvé chez nous des exemples dangereux. La faute qu’il a commise à Madrid, d’autres la commettent chaque jour sous nos yeux. Il a préféré l’engouement des gens du monde à l’estime des connaisseurs, et peut-être s’applaudit-il de son choix. Pourtant, quel que soit le charme de la richesse, il y a dans l’approbation des hommes compétens une joie que rien ne saurait remplacer. On a beau voir à sa porte des équipages armoriés, on a beau voir se presser dans son atelier les visages les plus frais, les plus gracieux, les toilettes les plus éclatantes, et recueillir en échange d’un travail imparfait plusieurs milliers de pièces d’or : on ne subit pas sans colère le jugement prononcé par les esprits éclairés. Or j’imagine que parmi les compatriotes de M. Madrazo, il s’en trouve plus d’un pour protester contre l’engouement des dames de la cour. Les Espagnols qui ont visité l’Italie, la Belgique, la Hollande, ne doivent pas cacher leur