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Derna et Bengazi sont les seules villes du pays, qui est habité par soixante-dix-neuf tribus d’Arabes à tentes, ne présentant pas à elles toutes plus de 50,000 âmes de population. Le grand fractionnement de ces nomades, qui dans les plaines s’agglomèrent en général en groupes plus compactes, tient ici à la nature du sol, dont les nombreuses petites vallées sont autant de centres d’attraction pour un nombre limité de tentes; on trouve même dans certains vallons resserrés des familles complètement isolées, qui semblent s’y être fixées héréditairement, et qui cependant ne songent pas à s’y construire des demeures stables. Je comprends et j’aime l’existence de la tente, dont je puis parler avec connaissance de cause; seulement il faut qu’elle soit en harmonie avec le sol. Or ces jolis vallons de la Cyrénaïque expliquent bien le fractionnement de la population, mais ils ne justifient nullement la conservation traditionnelle de la maison mobile des fils d’Ismaël. Au milieu d’un horizon bien découvert, dans de vastes savanes, sur de larges plateaux, la tente est parfaitement à sa place. Il n’en est pas de même dans un site étroit, au milieu de grands arbres, au pied d’un rocher moussu, en face d’une cascade : là on ne comprend que le chalet suisse ou le bordj mauresque.

Bengazi est une ville maritime qui a un assez mauvais port et que défend un château également mauvais. Elle est séparée des montagnes par un territoire aride et sablonneux. C’est un assez triste séjour; mais sous le point de vue du commerce elle n’est pas sans importance.

Il ne serait pas convenable de quitter l’hellénique pentapole dont Bengazi est l’entrée ou la sortie, suivant qu’on y arrive par l’Egypte ou par Tripoli, il ne serait pas convenable, dis-je, de s’en éloigner sans avoir rien dit des nombreuses traces qu’y ont laissées les colonies grecques qui l’ont rendue justement célèbre. Hérodote, le père de l’histoire ou plutôt des historiens, raconte avec assez de détails dans le quatrième livre de son pittoresque et immortel ouvrage la fondation de Cyrène par Battus de l’île de Théra, dont les descendans, appelés alternativement Battus et Arcésilas, y régnèrent pendant huit générations. Dans cette période, Cyrène poussa de nombreux rejetons, c’est-à-dire fonda des sous-colonies qui répandirent la civilisation dans toute cette partie de la Lybie, dont Hérodote donne une description fort exacte. Cette monarchie de la famille de Battus était fort modérée, comme l’a toujours été chez les Grecs le gouvernement des rois, quand ils en ont eu; cependant les Cyrénéens finirent par adopter une forme de gouvernement toute démocratique. Ils demandèrent plus tard une constitution à Platon, qui, content d’avoir enfanté sa république imaginaire, déclina l’honneur