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pas. Le travail est le remède le plus sain contre le vice, mais pour cela il tant que l’homme soit réellement occupé, qu’il y mette son intelligence et son esprit. Ici rien de pareil : l’homme ne tire de ses efforts aucune satisfaction ni aucune joie, c’est la machine seule qui est réellement productive. Aucune de ces illusions que crée le travail, grâce à l’absorption momentanée des facultés; rien qu’un mouvement mécanique qui laisse la pensée errer dans le vague et se reposer avec mélancolie d’abord, puis avec colère, sur les tristes incidens de la vie, la misère, la privation, la maladie. De l’ennui, de la colère, on arrive bientôt à la haine violente du travail, qui apparaît non comme la condition fondamentale de la vie, mais comme une malédiction. Toute cette série de sentimens s’engendre logiquement. Outre ces souffrances de la haine, de l’ennui, de la fatigue, le travail mécanique crée certains vices qui existeront peut-être toujours, quelles que soient les transformations des rapports du maître et de l’ouvrier : la brutalité, l’ivrognerie, et cet autre vice si puissant qui n’a pas de moyen plus subtil de s’emparer de l’homme que le besoin d’une distraction violente et d’une diversion aux habitudes régulières de la vie. Si encore on avait de l’air, de la lumière! mais non; il faut travailler dans un atelier humide ou étouffant, infect, obscurci par la vapeur ou les millions d’atomes qui s’échappent des matières travaillées, et ainsi les maux physiques viennent s’ajouter aux souffrances morales. En vérité, s’il était un emblème que l’on dût placer aux portes de certains centres industriels, ce serait un groupe représentant la maladie, au pied traînard, mais assuré, donnant la main à l’ennui, tristement accroupi, tête basse, mains croisées, regard morne, dans une attitude de musulman fataliste.

Les vices que l’on reproche aux populations industrielles ne nous étonnent donc point. Ce qui nous étonnerait davantage, c’est qu’ils n’existassent pas. Toute une série d’observations psychologiques et physiologiques démontre d’une manière irréfutable, pour ceux qui connaissent la facilité de corruption qui est dans l’homme, que ces vices sont la conséquence naturelle de ce genre de travail. Le travail industriel est corrupteur. Comment on pourra y remédier jamais et faire de ces masses d’hommes des populations saines, cela est un mystère, car les difficultés semblent insurmontables. Ce qui est certain, c’est que quelque chose peut et doit être tenté pour réagir contre ce fléau.

Les rapports du maître et de l’ouvrier ne valent guère mieux que ces mœurs générales : ce sont des rapports de défiance, de jalousie et de haine. Dans toute condition donnée, l’homme sait positivement d’où proviennent sa gêne, ses besoins, ses malheurs. Ici c’est tout le contraire : le chômage, la misère, la baisse des salaires, tombent