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attaquait l’un des deux généraux attaquait l’autre. Un autre incident particulier, c’est l’abstention de quelques députés progressistes, parmi lesquels s’est rangé M. Olozaga ; M. Olozaga a voulu le lendemain expliquer sa conduite, ce qui n’a servi peut-être qu’à rendre sa situation plus fausse. De ces divers faits, on pourrait conclure, ce nous semble, que la situation du cabinet de Madrid s’est affermie. Seulement n’est-elle pas toujours à la merci d’un vote inattendu qui peut être surpris à une majorité assez incohérente ? Il n’y aurait pour le ministère espagnol qu’un moyen d’affermir complètement sa position : ce serait de faire preuve dans les questions politiques de l’énergie qu’il a montrée pour sa défense propre, et de diriger cette majorité qui ne peut se diriger elle-même, ou de faire appel à de nouvelles cortès.

Après un moment d’assez vive émotion, le peuple et le gouvernement des États-Unis paraissent s’être rassurés sur les intentions de l’Angleterre. Une rupture entre les deux pays serait toujours, et particulièrement dans l’état actuel du monde, quelque chose de si grave, qu’en Amérique on a aussitôt accueilli avec empressement tous les symptômes qui pouvaient faire espérer le maintien des relations pacifiques. L’Angleterre, de son côté, ne se laissera entraîner, nous le croyons, à aucune démonstration qui serait de nature à compliquer le différend, et ce nuage finira peut-être par se dissiper entièrement, comme tant d’autres qui se sont élevés dans les dernières années entre Londres et Washington, et dont il n’est resté qu’un souvenir plus ou moins importun. Nous ne savons au reste lequel des deux pays aurait le plus à souffrir dans l’hypothèse contraire. La guerre avec les États-Unis serait assurément pour l’Angleterre une grande calamité. L’industrie et le commerce en ressentiraient l’atteinte la plus profonde, car on ne se passerait pas aussi facilement des cotons américains que des chanvres de la Russie : New-York est un bien autre débouché que Saint-Pétersbourg ; mais l’Amérique, n’a guère moins besoin de vendre ses matières premières à l’Angleterre, ou de lui acheter ses produits manufacturés, que l’Angleterre de faire avec elle la même opération en sens inverse, et les intérêts respectifs sont trop étroitement liés pour qu’il ne soit pas malaisé d’établir la balance des pertes qu’on essuierait de part et d’autre dans la sphère des transactions privées, si les deux pavillons devenaient ennemis. Ce qui n’est pas douteux, c’est que les forces agressives et défensives des deux états sont très inégales. Les Américains n’ont pas d’armée ; aucune de leurs grandes villes du littoral, aucun de leurs ports n’est fortifié ; l’infériorité de leur marine militaire ne saurait être contestée, même par eux : nous n’avons donc pas à insister sur le résultat qu’auraient les premières hostilités. On ne se fait guère d’illusions sur ce point aux États-Unis. Leurs innombrables journaux, qui disent tout, contiennent à cet égard les plus curieuses révélations, et c’est assurément un des motifs qui permettront à l’administration du général Pierce de se montrer plus modérée sans inconvéniens pour sa popularité. Néanmoins, si l’Angleterre y trouve de son côté une raison pour ne pas pousser trop loin les concessions qu’elle ne refuse pas de faire au maintien de la paix, la guerre déclarée ou probable causerait une telle perturbation, que ce sera pour tous une bonne nouvelle quand on saura que les dispositions conciliantes des deux parties en ont éloigné le danger.

L’Europe pourrait-elle alors cesser de surveiller avec une certaine inquié-