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plus universel, l’intérêt même de la transformation de l’empire ottoman, sans laquelle toutes les garanties qu’on pourra prendre contre la Russie resteront illusoires. Dans les griefs et les plaintes des populations chrétiennes, la Russie en effet trouvera toujours une arme dont elle saura se servir pour se frayer une route jusqu’au cœur de la Turquie. Il y a d’immenses difficultés à vaincre, cela est vrai : le droit public et les habitudes d’un peuple ne se transforment pas en un jour ; mais ce lien toujours subsistant entre des populations malheureuses qui ont besoin de protection et un protecteur intéressé par son ambition à les défendre, ce lien, il faut le briser par une transformation dans laquelle la Turquie au surplus peut trouver le seul élément de vitalité propre à la relever. Le gouvernement ottoman lui-même s’est montré prêt à entrer dans une voie de justes et sages réformes, les puissances occidentales doivent l’y maintenir par l’autorité de leurs conseils et de leur concours. C’est donc à l’une des premières nécessités de la situation actuelle que répond l’œuvre sur le point d’être entreprise à Constantinople ; mais en même temps pourquoi ne s’occuperait-on pas de la réalisation des autres garanties adoptées en commun, de l’organisation des principautés notamment ?

Chose singulière, il y a bientôt deux ans que la réorganisation des principautés a été stipulée, et que les soldats du tsar ont quitté les provinces du Danube : rien n’a été fait depuis ; on a laissé rentrer à Bucharest le prince Stirbey, notoirement dévoué à l’influence russe ; tout ce que le gouvernement de Saint-Pétersbourg a laissé après une ingérence permanente et abusive de trente ans a été maintenu. Une occasion toute naturelle s’offre aujourd’hui de changer cette situation. Dans peu de temps vont expirer les pouvoirs du prince Stirbey, nommé hospodar à la suite de la convention de Balta-Liman. Il semble donc fort simple que les puissances alliées s’occupent de fonder dans les principautés un régime conforme aux vues et aux intérêts de l’Europe. La Russie, dit-on, proteste contre tout ce qui serait fait dans les provinces danubiennes en dehors de son concours. Au nom de quels droits peut protester la Russie ? Ceux qu’elle tenait de ses traités ont disparu avec ces traités eux-mêmes, il reste une situation entièrement nouvelle à créer. Ce qui est vrai des principautés n’est pas moins applicable à la liberté de la navigation sur le Danube, également inscrite parmi les conditions de la paix future. Pourquoi dès cet instant n’organiserait-on pas cette liberté ? Pourquoi ne prendrait-on pas des dispositions pour qu’elle restât désormais effective et assurée sous la garantie collective de l’Europe ? Il y aurait dans ces diverses mesures un avantage réel, ce serait de traduire des principes posés et acceptés en faits accomplis auxquels la Russie n’aurait plus qu’à adhérer à la paix. Les puissances alliées se sont interdit des conquêtes matérielles qui ne seraient pour elles que des avantages personnels ; elles ne se sont point interdit d’organiser leurs conquêtes morales, celles qui seraient profitables pour tous. L’Autriche elle-même sans contredit ne pourrait que s’associer à une telle œuvre embrassant les garanties qu’elle a acceptées.

Il y a donc aujourd’hui pour la France et pour l’Angleterre plus d’un but à poursuivre, ou plutôt ce n’est qu’un même but sous des formes diverses. Il peut y avoir à écouler des propositions de paix, des suggestions même, s’il